Novembre - Nicolas Chartoire Lorsqu'il ajoutât l'insulte à l'injure. Ce qu'il a dit. Ce qu'il a dit. Son frère. Toute sa vie Kumiko avait vécu sous sa coupe. Ce frère plus jeune, préféré de tous. La voici là venue le voir se marier, là-bas en France, à Saint-Amour. Et lui qui la rabaisse, la souille, devant tous, devant toutes, prouvant son ascendance ordinaire et sa domination sur le pauvre être qu'est Kumiko. D'abord elle ne dit rien. Puis, la soirée battant son plein, elle se glisse vers l'une des tables d'un oncle ou d'un autre, et, prestement, glisse ses doigts dans l'une des vestes suspendues au dossier de chaise. Attrape les clé d'une des voiture de location. Puis s'eclipse, dans le soir de novembre. La conduite à droite la déroutait un peu. Vite, au hasard, elle prend la première route, en direction du nord, et roule, roule. Au bourg suivant un petit panneau, d'une route secondaire, sans trop savoir, elle vire à droite. Des lacets, et la route qui serpente, grimpant dans les hauteurs. Un moment une aire de parking, en lisère d'un bois, toute humide dans la nuit. Kumiko s'arrête. Sur le système de navigation de bord, elle voit pas très loin un barrage, un lac, un pont. Un long pont. Kumiko décide. Du pont, dans la nuit, elle sautera dans le lac. Le reste du trajet fut comme sur un nuage, traversant de minuscules hameaux, sautant les élévation sur le terrain. Elle y était, sur le plateau. Puis elle vit, arrivant vers elle, une quelque bourgade d'importance. La denière. Un rond-point à sauter, et ensuite, le pont. Kumiko arrive au rond point. Il suffit d'aller tout droit. Sans qu'elle ait eu ordonné quoi que ce soit à ses membres, ses bras, ses mains, ses jambes et ses pieds donnent à la voiture une autre trajectoire. Au rond point, elle tourne à droite. Voici devant elle une longue avenue toute droite. Kumiko file, rapide dans l'heure tardive. Le ciel est bouché et un crachin tombe. Dehors, il fait froid. Elle ne remarque pas le panneau bordé de rouge, en triangle, montrant une voiture dérapant. Elle passe un gros batiment au panneau portant le H d'hôpital, sur sa droite, et soudain, d'un coup, la voici dans les ténèbres, en pleine campagne, la route bordée de prés et de champs. La première plaque de verglas fut pour elle. Confusion, incohérence de la vision, le corps ballotés en tous sens, puis tout de suite, l'immobilité. Juste le temps de se dire "je m'en suis bien tirée". C'était fini avant d'avoir commencé. Confuse, elle tente de tendre le bras pour déboucler sa ceinture. N'y arrive pas. Au loin. Là. Au tableau de bord, elle sait là l'avertisseur des feux de détresse. Maintenant qu'il n'y a plus de chauffage, la voiture devient une glacière, froide comme le marbre d'une tombe. Elle tend le bras, elle tend le bras, elle tend le bras dans un effort impossible, le pire qu'elle ait eut à faire de sa vie, elle, là, entièrement tendue vers ce commutateur qui représente sa vie. Clic Les lampes oranges clignottent. Elles éclairent, de l'autre coté des vitres en miettes, du pare-brise explosé, les sillons d'un champ. Kumiko respire. "Ohé" "Ohé" On crie dehors. Puis deux mots de français qu'elle ne comprend pas. Et une silouhette, par ce qui reste de la vitre de la portière. Kumiko inspire, et, de toute sa force, envoie un cri, un "hey". À nouveau du français, deux syllabes, un mot ? Puis une silouhette se précise par la ruine de vitre passager, faiblement éclairée par l'éclat intermittent des feux de détresse. "Jvuze vus oti dloute !", dit la voix. Kumiko répond, plus faiblement, et en anglais. "Parlez-vous anglais ?". Un moment d'hésitation puis la silhouette répond, en anglais aussi : "Avez vous un téléphone ? Je n'ai pas mon téléphone." Kumiko tend la main vers l'emplacement de la poche si familière, extrait son compagnon électronique, en presse le bouton. Rien. À nouveau elle presse, plus longuement. Rien. "Mon téléphone est cassé. -Votre portière est bousillée, je vais essayer de l'ouvrir" Clac. Crak. Un bruit sur son coté gauche. Clac. Crak. Trois, quatre tentatives, la portière cède et s'ouvre, découvrant dans le clignotement des phares l'un de ces occidentaux basanés, le cheveux sombre, d'à peu près son âge. "Ne bougez pas". il se penche au dessus d'elle, manœuvre la ceinture de sécurité. "Je ne peux pas vous laisser là, pas par ce froid. Vous pouvez bouger, vous lever ? -Je crois". S'appuyant sur lui elle s'extraie du véhicule, constate les dégats. C'est une coquille de noix broyée. "Tenez, accrochez-vous à mon bras". Loin, loin au bout du champ, il y a une voiture, phares alumés, feux de détresse, qui stationne au bord de la route déserte. "Vous pouvez marcher ? -Ça ira." Vaille que vaille, mètre après mètre, dans la terre boueuse du champ, et cette pluie qui ne veut pas cesser, et ce froid, oh, ce froid. Puis. Encore cinq pas. Encore deux pas. Il ouvre la portière. La voilà dans un cocon, chauffée. Il s'installe au volant, machinalement démarre le moteur. Alors la stéréo de bord se met à jouer, reprenant le titre en cours de lecture. La chanson dit, c'est du japonais Dans le ciel que je regardais, les couleurs avaient disparus. Cowboy hurlant. Au revoir, bébé Après ça, plus aucun jour ne fut comme aucun autre de ceux ayant précédé aucun jour.