Nicolas Chartoire - Chez Ism En 2002 (2011) Bon, il faut bien que j'avoue, à l'époque j'étais pas mal à l'ouest. Comme souvent, ça avait commencé au printemps. Mais au mois d'août, j'étais parti en vacance avec Mou et Turm, on était allé rejoindre Douf dans le Gard, et j'étais encore complètement perché. Enfin, bon, c'est pas le sujet. Mais en septembre, quand ce récit commence, j'étais toujours relativement cinglé. Entre autre, je croyais voir des fantômes. Bon, comme ça ça a l'air rigolo, mais dans la pratique c'est loin d'être aussi cool que vous pourriez croire. Et donc, mes parents, qui supportaient ma folie depuis plusieurs mois, en avaient pas mal marre de mes excentricités, et me l'ont assez bien fait sentir. En septembre, donc, je me suis souvenu que Ism m'avait toujours dit, depuis qu'il s'était installé à Gre, que si à l'occasion ça devenait trop chaud à la maison, je pourrais un de ces quatre venir passer quelques temps chez lui. J'ai donc téléphoné à Ism, qui m'a dit, pas de problème. À l'époque il revenait dans le coin à peu près tout les week-ends, et donc il m'a dit qu'il profiterait d'un de ces voyages pour m'embarquer. Je dois dire (c'est un détail) qu'à l'époque je cherchais vaguement du boulot, et donc j'allais harceler à peu près toutes les deux semaines une agence d'intérim du secteur pour me rappeler à leur bon souvenir. Ceci aura finalement quelques conséquences, comme vous pourrez le constater plus tard, si vous êtes assez motivé pour lire ce récit jusqu'au bout. Ism me disait aussi, je pourrai venir chez lui, et chercher du boulot sur Gre ; donc cette escapade avait un double but : permettre à mes parents de souffler un peu en se voyant débarrassé de ma présence pour quelques temps, mais aussi m'offrir la possibilité de rechercher du travail sur Gre, qui est mine de rien un sacré bassin d'emploi, notamment dans l'informatique. J'avais déjà travaillé dans l'informatique, et mes études avaient concerné, entre autre, ce domaine. C'était donc un coup à jouer. Donc, un dimanche de fin septembre 2002, Ism s'est pointé à la maison avec sa R19, j'ai embarqué mes fringues, et aussi mon PC, dans sa voiture. Je n'allais jamais me servir de ce PC là-bas. Je ne me souviens pas si Charline, qui était avec Ism à l'époque, faisait partie de ce premier voyage. En fait, mes souvenirs sont assez confus. Je vais essayer d'évoquer quelques anecdotes en vrac sur cette période de ma vie, sans respecter la chronologie. Pour résumer, Ism avait un petit appart sur Gre, il y avait juste un hall d'entrée, une chambre-salon et une toute petite cuisine. Toutes les fenêtres de l'appart donnaient sur une cour intérieure ceinte par quatres immeubles d'une dizaine d'étages, la vue était pas top donc. Comme je disais, Ism revenait dans le coin à peu près tout les week-end, et à chaque fois il embarquait Charline qui allait donc elle aussi passer le week-end chez ses géniteurs ; nous la déposions à une gare de la banlieue Est, et elle rejoignait ses parents qui habitaient la banlieue Nord-Ouest par différents moyens, je ne suis pas absolument sûr desquels. Charline avait elle aussi un appart sur Gre ; il y avait un hall d'entrée qui servait aussi de cuisine, et une pièce salon muni d'une mezzanine ou elle dormait. Je crois bien me souvenir qu'elle était au chomage à l'époque ; quand à Ism, il travaillait pour une société d'informatique. Je dois confesser que si Ism avait choisi de persévérer dans l'info après avoir foiré son IUT dans ce domaine, c'est en partie de ma faute, puisque, influencé par la lecture du Jargon File, je lui avait dit : 'l'info c'est cool, tous les jours tu as de nouveaux problèmes à gérer et de nouvelles solutions à imaginer'. Donc il avait enquillé sur une formation d'un an sur Gre dans ce domaine ; suite à ça il avait trouvé du boulot sur place, et il habitait donc là-bas. Aujourd'hui, Ism fait carrière dans les télécoms, c'est peut-être un peu plus sûr que dans l'info où généralement, en temps de crise, quand il n'y a plus de nouveaux chantiers, il n'y a plus de boulot et les boites dégraissent à tout-va. Donc, Ism bossait, Charline cherchait du boulot (je crois bien me souvenir qu'elle cherchait un patron pour un apprentissage ; c'est que nous étions jeunes... Ism et moi avions 24 ans). Et donc, un dimanche, Ism est venu me chercher au volant de sa R19, qui était pleine de tas de trucs en vrac, donc comme je disais je sais pas si il y avait Charline pour ce premier voyage, mais probablement que si. Généralement, nous ne prenions pas l'autoroute, mais la nationale. À cette occasion nous traversions les terres froides. Jusqu'à Bourgoin environ nous choppions Sol FM et les autres radios du coin, mais dans les terres froides, plus rien, ni celles de chez nous, ni celles de Gre. Nous appelions la région : 'Le pays sans radio'. La R19 de Ism avait un pneu qui fuyait ; aussi, quand nous revenions de Gre, nous nous arrêtions à une station service pour regonfler ce pneu. La première fois, donc, j'ai embarqué mes affaires dans le coffre de la R19 de Ism. Comme je disais, j'étais pas mal à l'ouest, donc je me suis encombré de tout un tas de trucs inutiles, notamment pleins de livres, dont mon édition des années 40 des histoire extraordinaires d'Edgar Allan Poe. Et nous sommes parti pour Gre. Donc, en arrivant, j'ai découvert l'appart d'Ism. Il avait un lit deux-places, un simple matelas en mousse où nous allions coucher tout les deux - je tiens à préciser tout de suite, il n'y avait rien de sexuel entre nous... Je n'ai rien contre les gays, quand j'avais 21-22 ans j'avais même pour habitude de fréquenter les boites gay pour l'ambiance déjantée qui y régnait ; par ailleurs, j'ai certaines sympathies pour le mouvement pro-queer et je suis assez souvent allé dans des concerts organisés par des assos pro-queer du coin ; mais bon, je n'ai jamais eu de relations sexuelles ou amoureuses avec un autre mec ; Ism et moi étions simplement de vieux potes de la bande du fond de la cour du collège Le Grand Champ ; plus tard notre amitié s'était renforcée dans les années 90 lorsque nous étions dans la même classe de STEC au lycée ; nous avions en commun un certain goût pour l'humour, l'irrévérence et la culture punk. Je me souviens qu'à cette époque, une fois, Ism avait organisé une soirée pour son anniversaire, j'y étais allé avec quelques potes de ma bande de mon bled, et, ahah, j'étais allé au toilettes et la serrure s'était bloquée, je me suis retrouvé coincé, j'appelais les autres mais personne n'entendait, et dans une mini-crise de parano je m'étais imaginé que c'était un coup monté par mes potes... Plus tard encore, Ism et moi étions resté assez proche. Pendant mes brèves années d'université nous échangions de nombreux mails entre anciens STECs, et nous avions continué après que j'eus été diplômé, nous nous voyions aussi assez souvent IRL, j'avais même présenté Ism à Yohann et Mika pour qu'ils forment Nique Dindon Caramel Bonbon, un groupe qui sera un jour reconnu à sa juste valeur, qui est énorme.Donc, Ism avait un matelas deux places en mousse ; quand il m'a fait visiter la salle de bain, il m'a montré son tapis et m'as dit pour déconner 'C'est un tapis de prière, je veux que tu prie cinq fois par jours' (la famille d'Ism est originaire du Maghreb) ; et moi dans mon délire de type complétement à l'ouest, je l'avais pris au sérieux, et donc, la journée, pendant qu'Ism était au boulot, j'allais régulièrement prier sur le fameux tapis - enfin, au début, je dois dire que fréquenter Ism et me sortir de la routine délétère de la vie vide dans mon village m'a fait pas mal de bien au niveau santé mentale, et celle-ci s'est pas mal améliorée durant mon séjour à Gre ; même si au début j'étais totalement persuadé que l'appart d'Ism était hanté par un fantôme, d'ailleurs je pouvais presque le voir ; mais à la longue l'illusion s'est dissipée. Ism et moi partagions une certaine passion pour le café ; Ism avait une cafetière à piston (pour faire du café à la française, comme on dit), et donc le matin (car je me levais en même temps que lui, et le matin j'allais à l'ANPE consulter les offres d'emplois - Ism n'avait pas internet) c'était notre rituel, nous buvions notre café issu de cette cafetière. Ism tenait à ce que le café soit brassé avant d'être versé dans les tasses, il m'avait dit qu'il tenait cette habitude de sa mère, qui n'aurait pas toléré que son fils lui serve un café non brassé. Je me souviens des tasses en plastiques de Ism, qui nous servaient à boire le café et la bière indifféremment. Je ne me souviens plus exactement de ce que nous buvions comme bière, peut-être bien que nous achetions assez fréquemment de la Jenlain, et je suis à peu près sûr que nous allions à l'épicerie-traiteur asiatique pour acheter de la Saigon Bah de temps en temps - ma mère me donnait toutes les semaines un peu d'argent. À l'époque je n'avais plus droit au chômage, et j'étais encore trop jeune pour toucher le RMI, donc mon seul revenu c'était ce que me donnait ma mère. Je m'en servait pour acheter à manger ; Ism ne faisait jamais les courses - je croyais que je n'étais pas un gros mangeur mais j'ai vite découvert que j'étais un très, très gros mangeur comparé à Ism, qui ne se préparait jamais à manger, et ne mangeait quasiment rien. Mais en général, le soir, nous allions quand même nous acheter des frites au kebab le plus proche, et certains soirs un sandwich au sudjuk - nous étions tout les deux fans de ce genre de saucisse, ou un sandwich au fromage turc. D'autres soirs nous allions à l'épicerie-traiteur asiatique pour acheter, par exemple, des raviolis. Les frites que nous achetions au kebab, j'en remangeait encore le lendemain, elles n'étaient pas cher et nous pouvions en acheter beaucoup. Ism, qui est quelqu'un de très généreux, de temps en temps retirait de l'argent et me donnait un billet - il me disait, si un soir en concert ou dans un bar, je tombe sur une fille qui me plait, il faut que je puisse lui payer à boire. Mais pour revenir à la cafetière à piston qui nous servait à faire le café, un matin en la tapant sur le rebord de la poubelle pour faire tomber le marc, je l'ai brisée. L'évènement m'a fait une grosse impression car j'étais plus ou moins persuadé d'avoir rêvé, justement la nuit précédente, que je brisais la cafetière. Quand, plus tard, j'ai raconté ça à Charline, elle a été vraiment désolée, car il se trouve que c'était elle qui avait prêté cette cafetière à Ism, et d'ailleurs elle ne lui appartenait pas, c'était un autre amis à elle qui lui avait prété. Je m'étais promis à l'époque de racheter une nouvelle cafetière à piston et de l'offrir à Ism, mais je ne l'ai jamais fait. Le soir, quand nous n'allions pas en concert ou dans une soirée, nous allions boire un coup dans un des bars d'une rue du centre qui se trouvait à deux pas de chez Ism, et qui est un peu l'équivalent pour Gre de la rue Sainte-Catherine, mais avec seulement deux bars. Nous fréquentions ces deux bars ; l'un d'eux étant un bar espagnol, l'autre passait du reggae roots comme musique et vendait, entre autre, du rhum. Un soir je discutait avec un type qui avait suivi la même formation que Ism, mais finalement travaillait dans le bâtiment. Lorsqu'il m'avait dit qu'il restaurait des vieux apparts, je lui avait dit 'ah oui, les appartements bourgeois et tout ça' - 'appartement bourgeois' étant une dénomination commune pour un certain type d'appartements, souvent du 19ème siècle - et je crois bien que j'étais monté dans son estime en faisant preuve d'un minimum de culture concernant son métier. Enfin bon, le type m'avait dit qu'Ism était le gars le plus généreux du monde, qu'une fois, il donnait une soirée chez lui, et il était parti acheter cinq ou six Duvels (nous buvions souvent de la Duvel lorsque nous allions au bar), dans un bar, juste pour la faire gouter à ses convives. Ism m'avait expliqué que pour que le dépôt reste collé au fond de la bouteille et que la bière ne soit pas trouble, il fallait coiffer ladite bouteille avec le verre, puis retourner le tout prestement et laisser la bière se vider dans le verre. Ainsi le dépôt restait collé au fond de la bouteille, et la bière n'était pas trouble. Donc je discutait avec ce type, et je lui avait dit, 'il faudrait vraiment que j'apprenne l'arabe, histoire d'être un vrai poète, un vrai poète doit parler arabe', et le type m'avait répondu 'quand on veut vraiment faire quelque chose, ben on le fait'. Je n'ai jamais appris l'arabe. Je dois dire qu'à l'époque, je sais plus exactement depuis combien de temps, je m'étais persuadé tout seul dans un délire parano/pronoïaque que j'avais des origines arabes... J'ai mis des années à réaliser que c'était ma raison qui me jouait des tours. Mais on y reviendra. Donc, le soir nous allions boire un coup, ou nous allions à une soirée, ou nous allions à un concert. La journée Ism était au boulot. Le matin j'allais à l'ANPE lire les offres d'emploi. J'écrivais de longues lettres de motivation dans le silence religieux du lieu - à l'époque les entreprises demandaient encore des candidatures par courrier. Un jour, il y a deux personnes qui se sont mises à discuter bruyamment et ça m'avait pas mal excédé ; je ne me souviens plus de quoi exactement elles parlaient mais leur conversation était à la fois d'une prétention et d'une idiotie rare, finalement j'avais laché à voix haute 'mais qu'est-ce qui faut pas entendre', ou 'faut mieux entendre ça qu'être sourd' ou quelque chose du genre. J'attendais Ism au pied de l'immeuble quand il rentrait du travail. Il y avait un petit square face à moi, et sur ma gauche un escalier qui descendait d'une avenue plus haut. Un soir j'ai vu un - je ne suis pas sûr - ou deux mômes descendre l'escalier en courant, en portant un sac à main. Sur leurs talons il y avait une femme qui criait 'Au secours ! Ils m'ont volé mon sac ! ' et sans réfléchir, je me suis mis à courser les voleurs. J'ai croisé un Ism qui rentrait à ce moment là, et que j'ai laissé pas mal médusé. Ils courraient cependant plus vite que moi. Je crois bien qu'ils ont fini par abandonner le sac, mais je sais pas s'ils n'y avaient pas pris ce qu'il y avait de plus intéressant dedans. Pour finir, on a appelé la police - j'ai dit à Ism 'fais le 112, pas le 17', car il appelait de son portable - à l'époque le 112 était une nouveauté. La police est arrivé assez vite et a pris en charge la victime, qui brodait sur le thème 'C'est ce qui vous pousse à voter pour le FN', alors qu'elle était elle même plutôt bronzée, j'avais trouvé ça assez idiot, mais en y repensant depuis j'ai fini par me dire qu'elle voulait peut-être exprimer ainsi son regret que les gens votent pour le FN, et non l'idée qu'elle allait elle-même voter pour le FN en réaction à cette agression.Plus tard Ism m'a dit 'Et si t'avais réussi à le rattraper, t'aurais fait quoi ?' et je lui avait dit, 'ben, j'aurais probablement essayé de le plaquer...' - mais peut-être que je frimais. Donc, le matin j'allais à l'ANPE. J'ai eu assez rapidement un premier entretien. J'ai pris moult trams et bus pour rejoindre la banlieue, et j'ai encore pas mal marché. L'employeur, c'était l'université, le job, administrateur système. L'entretien s'est super bien passé, mais quelques temps plus tard j'ai reçu une réponse négative. Je me souviens que je jouais au beau au snack du campus ou je prenais un sandwich en espérant qu'une étudiante me remarquerait, dans mon trois-quart en cuir plutôt cher que j'avais acheté quand j'avais un travail qui payait bien deux ans et demi avant. Mais aucune étudiante ne m'avait remarqué. En général, en revenant de l'ANPE, j'allais boire un café dans un petit bar de quartier que j'avais remarqué sur mon trajet - une fois, je lui ai fait une infidélité et j'ai bu mon café dans un bar in du centre, mais le prix m'a dissuadé de jamais remettre ça. Je crois bien que j'ai eu deux, peut-être trois entretiens en tout. Je ne me souvient précisément que de deux d'entre eux. Pour le deuxième, là encore c'était en banlieue, donc après un long trajet en tram et en bus, j'étais arrivé sur les lieux - l'annonce disait qu'il fallait venir et se présenter, et donc j'avais sonné, j'étais entré, et j'avais été accueilli par un 'oh non, encore un'. Dans ma parano, j'ai cru être victime de discrimination raciste - comme je disais, je croyais avoir des origines arabes à l'époque. Il faut dire que je pourrais passer pour un arabe à peu de frais, c'est surement dû à mon coté latin que je dois à mon arrière-grand-père piémontais, quand j'étais môme à la cantine, les dames me disaient tout le temps 'attention, il y a du porc là-dedans' et je répondais 'oui, oui, je sais, je mange du porc'. Après tout peut-être que j'avais été effectivement victime d'une discrimination ; en tous cas, le lendemain, j'ai appelé un service spécialisé dans ce genre de trucs et je leur ai dit 'j'ai un nom francisé, mais j'ai été victime d'une discrimination lors d'un entretien'. J'ai ajouté que je ne comptais pas engager de poursuites ni rien, mais que je les contactais histoire qu'ils puissent avoir mon témoignage pour leurs statistiques. Un jour, en revenant d'un entretien, dans le tram, j'ai discuté pendant longtemps avec une personne agée, une dame, qui me parlait de ses concours de belote, ou de coinche, je ne me souviens pas. Un soir au bar espagnol, je suis tombé sur Hervé, qui était un pote de mes années d'université. Ism connaissait plusieurs de mes anciens camarades étudiants originaires de Gre, dont Hervé. J'étais bien content de le retrouver, je l'aimais bien. Il était avec un ami à lui. Il me disait qu'il bossait comme sysadmin dans une boite qui si je me souviens bien était liée au nucléaire, mais qu'il comptait dans un futur proche se consacrer à la musique. Le lendemain j'ai croisé son pote dans la rue, qui m'as dit 'tu te souviens de moi', et j'ai répondu 'oui, oui, tu es le copain d'Hervé'. Ism avait un vieux bipross qu'il avait récupéré à son boulot, avec une Debian installée. Je me suis acharné à faire marcher le son sans succés, cependant nous pouvions toujours lire les CDs audio via la sortie analogique du lecteur de CD-ROMS - Ism n'avait pas de chaine HiFi. Nous avions un petit soft pour contrôler le CD-ROM. Nous écoutions souvent l'album d'Eminem qui venait de sortir, celui avec 'My Daddy Has Gone Crazy', j'aimais bien cette chanson. Nous écoutions aussi Stereo A6 de la collec de disques d'Ism. Eminem aussi venait de sa collec. L'ordi, si je me souviens bien, trônait sur un bureau, mais c'était le seul meuble de l'appart, hormis les éléments de la cuisine intégrée et le matelas en mousse. Nous mangions - quand nous mangions - assis par terre, en utilisant un carton comme table. Comme Ism ne cuisinait jamais, il n'avait jamais déballé ses cartons de couverts qui venaient de son appart précédent. Le soir donc, nous allions parfois au bar, parfois nous allions en soirée, parfois nous allions à des concerts. Les soirées, je les ai toutes oubliées, sauf la soirée chez Christian (j'y reviendrais), quand aux concerts, je les confonds pas mal entre eux. Nous allions dans deux salles principalement, une salle conventionnelle, et un squat autogéré. Un jour j'avais vu un one-man-band d'un type qui a commencé par se mettre en slip - c'était dans le squat - ce qui avait pas mal forcé mon respect. J'avais vu un autre one-man-band lors d'un festos dans la salle conventionnelle. Une autre fois dans le squat, il y avait un groupe punk qui a incité tout le monde à quitter ses chaussures. Je ne m'étais pas exécuté, mais Ism si, et donc, au bout de cinq minutes vu la quantité de poussières des lieux les chaussettes de tous ceux qui avaient suivi le mouvement étaient noires de crasses. C'est dans le squat qu'a eu lieu l'épisode de Jesus. À Gre à cette époque, je sais pas si c'est toujours vrai, il y avait pas mal de redskins. Ce sont des skinheads antiracistes, antifascistes et communistes. La plupart vivaient dans un squat. Une fois, dans la salle conventionnelle, je discutait avec l'un d'entre eux, et je lui avait dit, histoire de faire la conversation 'Les gars on compte sur vous pour faire la révolution' mais il n'avait pas du tout apprécié ma réplique. Cependant on avait continué à discuter, et comme je lui disait que je supportait pas ce foutu froid dans cette ville, il m'avait dit 'Nous on a le produit, quand tu prends le produit tu sens plus le froid'. Une autre fois, je discutais - c'était au squat - avec un type qui m'appelait punk - mais je m'éloigne du sujet, qui est l'épisode de Jesus. Jésus trainait avec les redskins. Il souffrait de problèmes psychiatriques, se prenant pour le Christ, d'où son surnom. Et donc un soir, au squat, alors que j'étais près d'Ism, j'avais vu ce type déclarer brutalement 'Celui-là je vais me le faire' et se jeter sur Ism. Les potes redskins de Jésus, où peut-être d'autres personnes, je ne sais pas, les ont séparé - Ism n'a pas répondu par la violence. Il m'a dit plus tard qu'il s'était pris une droite par un des redskins, qui lui a dit après que c'était pour calmer le jeu. Pour être exact, j'avais discuté plus tard avec ce redskin en particulier, et donc Ism plus tard m'a dit 'n'empèche que le gars avec qui tu discutais, il m'a mis une droite, soi-disant pour calmer le jeu'. Donc en discutant avec le redskin, j'ai appris que Jésus souffrait des problèmes qui lui avaient valus son surnom, et le redskin avait ajouté qu'il pouvait fort bien se défendre contre quatre ou cinq 'types comme moi' (je suis pas une armoire à glace) quand il était en crise.Donc, Jésus avait agressé Ism, des gens l'avaient ceinturé, je m'étais approché de lui alors qu'il se débattait et il avait tenté de me mettre un coup de pied qui a laissé une empreinte sur mon T-Shirt, mais au même moment je bondissais en arrière et donc le coup n'a pas porté. Puis je me suis approché à quelques centimètres de son visage et je lui ai fait signe 'pause', les deux mains tendues perpendiculaires l'une à l'autre. Je sais pas si c'est suite à ça, mais il a fini par se calmer. Ensuite, nous étions resté encore quelques temps à discuter - moi, j'étais persuadé que Jésus ou l'un de ses potes allait revenir avec un couteau, et j'étais totalement terrorisé, mais Ism ne s'en faisait pas. Puis nous étions rentré nous coucher. Plus tard, je suis presque sûr, j'ai revu Jésus, cette fois très calme, à l'ANPE. Il n'a rien fait de spécial. Parlons maintenant de la soirée chez Christian. Christian, je le connaissait déjà. Un soir j'avais assisté à une répèt des Nique Dindons Caramels Bonbons, et Christian était là, il dormait sur le canapé. Il travaillait sur Gre comme coursier. Ism m'avait dit à son sujet 'Dans son appart il y a une photo de Raël'. Nous le croisions de temps en temps lors de concerts. L'appart qu'il occupait avait je ne sais quel statut spécial qui lui valait d'être très, très spacieux au vu de son loyer, et donc de temps en temps Christian organisait des fêtes mémorables avec beaucoup de monde. J'ai pu participer à l'une d'entre elle. C'était une soirée déguisée. Charline était déguisée en statue de la liberté ; Ismaël lui avait prété une gandourah, qui est un genre de djellaba, et elle avait un masque - Ism n'est pas du genre à porter la djellaba, mais il avait ça dans son stock. Je crois bien que ça venait de son héritage familial, en tout cas il y était très attaché et avait bien recommandé à Charline d'en prendre le plus grand soin. Quand à Ism et moi, nous formions un duo hors du commun. J'avais dans mes fringues pas mal de vêtements de surplus militaires, certains achetés, d'autre généreusement octroyés par l'état suite à mon passage sous les drapeau en tant qu'appelé, dans l'infanterie. Donc Ism et moi nous étions déguisés sur le mode militaire, mais pas seulement, ça aurait été insuffisant. Ism s'était taillé la moustache à la Hitler, et moi je m'étais taillé la barbe à la Che Guevara. Je portais un béret, et un pseudo tatouage fait au stylo sur le bras commémorant le débarquement manqué des anti-castristes à Cuba - l'affaire de la baie des cochons. Comme Ism devait l'expliquer à tous le monde lors de la soirée, il était 'Saddam Hitler' -tout ceci se passait avant la chute de Saddam Hussein- et moi j'étais son garde du corps cubain ; à l'époque nous tournions facilement en dérision même les sujets les plus graves, je ne sait pas si j'oserais refaire un coup pareil aujourd'hui. Enfin bref, nous avons traversé la ville attifés comme cela, et nous avons eu pas mal de succès à la soirée. Je me souviens que la musique était excellente, qu'il y avait effectivement une photo de Raël punaisée dans l'appart de Christian, et je me souviens aussi que j'avais discuté un long moment avec un gars en lui parlant de mes soit-disant origines arabes - lui-même était de cette origine. Quand j'y repense, ce délire m'a poursuivi si longtemps... En 2006 j'y faisait encore référence. Je me souviens aussi qu'il y avait une fille avec un prénom italien, déguisée avec la robe noire et le voile sur la tête, qui me disait qu'elle était une 'pouilleuse' (en référence à la région des pouilles), qu'elle ne souhaitait pas d'enfant car elle ne 'voulait pas se reproduire', enfin bon peut-être bien que j'avais un ticket. Pendant quelques temps cette fille nous a plus ou moins fréquenté assidument, donc, oui, j'avais probablement un ticket, mais un soir nous l'avons retrouvée à un concert, et il y avait un genre d'anglais bourré à moustache qui se faisait pas mal remarquer et qui est venu danser juste devant elle - ensuite elle a dit 'il m'a mis un coup de boule' mais moi je n'avais rien vu. J'aurais du aller me castagner avec ce type, je suppose. Mais je ne l'ai pas fait. J'ai du pas mal baisser dans l'estime de la fille suite à cet incident. Un autre soir Ism m'a dit que Jeremy et d'autres potes à nous allaient passer. Il ne m'a pas dit qu'il y aurait Gaëlle, mon ex petite amie, qui était avec Jeremy depuis - je crois bien que je ne le savait pas, sinon je me serais douté qu'elle serait là - et je crois bien que Gaëlle ne savait pas non plus qu'elle me trouverait chez Ism... Donc, nous accueillons Jérémy et ses potes sur le parking en bas de l'immeuble, et qui descend de la voiture ? Gaëlle, ahah, deux ans et demi après notre rupture, ben mine de rien la charge émotionnelle était toujours assez forte. Dans l'escalier, elle a fait un malaise, elle a perdu connaissance, mais ce n'était rien de grave, une minute plus tard elle allait tout à fait bien. J'avais préparé un gâteau à base d'œuf, de sucre, de farine, de jus d'orange, qui a eu pas mal de succès et a même déclenché une mini-polémique. La soirée fut bien sympa. J'étais content d'avoir revu Gaëlle, content d'avoir revu Jérémy et ses potes. Un soir au bar, une fille nous a raconté comment une de ses amies avait appris que sa mère était lesbienne. Comme je l'ai dit, le week-end Ism me ramenait à la maison comme il allait lui même voir sa mère, et Charline ses parents. Et donc le soir à table j'ai eu pas mal de succès avec cette histoire de fille qui a appris sur le tard que sa mère était lesbienne, tout le monde a compati avec cette pauvre fille en pensant au choc que ça avait du lui causer. Une autre fois, je suis rentré passer le week-end à la maison, et j'ai trouvé les lieux tous décorés - Halloween approchait. Donc la semaine suivante, chez Ism, j'ai acheté de la pâte d'amande que j'ai découpée en petits cubes, et quand des gamins sont venus réclamer des bonbons, je leur ai donné la pâte d'amande.Finalement, j'ai eu des nouvelles d'une boite d'intérim - ils avaient une mission pour moi, dans le domaine de la qualité. J'ai donc quitté Gre et Ism qui m'avait si généreusement hébergé pendant environ deux mois. Finalement, cette mission consistait à pousser des joints mal placés sur des couvercles de friteuses à l'aide d'une touillette à café, en équipe en 2x8, mais bon, c'était toujours du boulot, je n'allais pas rechigner. J'ai bossé un mois là-bas, puis après une pause pour les fêtes, encore quatre mois supplémentaires, ce qui m'a permis d'avoir droit au chômage pendant quelques temps. Quand à Ism, il a finalement quitté Gre. Lui et Charline se sont séparés. Plus tard, nous allions connaître d'autres aventures avec notre groupe de rock Gorbie's Stuff, mais comme on dit, ceci est une autre histoire. Janneyrias, mars 2011