Feuillet A1 I Un retour comme introduction J'étais donc revenu à Fanichet. C'était l'hiver. Au volant de la Mercedes hors d'âge j'avais tendu les cartes plastifiées à ce douanier crépusculaire, matin sur la frontière, ce temps absurde, bouché - déprimant au tournant de l'été, déni de promesses encore dues. À la frontière suivante ce fut plus facile, et il ne restait qu'une petite demi-journée de route. Nous avions acheté de la beuh commerciale, c'est à dire les somités fleuries, ou têtes, du chanvre, ou cannabis, illégalement cultivée et vendue (ou peut être légalement cultivée, le cadre ayant évolué depuis peu alors), juste avant de traverser ladite frontière ; de l'autre coté, l'usage et l'importation en étaient également prohibés - pour l'export, là d'où nous venions, je ne sais. Nous traversâmes à la pause déjeuner. A ce sujet la loi n'est pas appliquée, l'arbitraire règne. La douane nous jaugea d'un coup d'œil et nous laissa filer. Feuillet A2 Que ce fut ce que j'avais fumé ou la vue des jeunes femmes qui me toisaient et ne me fouillaient pas, que ce fut le soleil apparaissant alors, la dizaine de sticks dans trois planques dont ma poche roulant dans une direction familière, je me sentais optimiste. L'injustice venait pourtant de s'appliquer en ma faveur. Voyageant avec mon ami le docteur Serious (H.C.), nous avions convenu d'un itinéraire touristique. Nous tombâmes sur la troisième frontière. La région était agréable, vallonnée, fertile. La route excellente, le pays désert, pas un chat. Ruines de bâtiments, où poussaient des arbres. La troisième frontière est sur de telles ruines, comme un talus de part et d'autre et au travers du chemin. Le docteur somnole lorsqu'elle apparait au delà d'un virage, et je ralentis doucement. Nous sommes à des centaines de mètres, cependant des silhouettes bien reconnaissables, deux hommes et un canon, pointé sur nous. La décélération réveille mon passager, qui regarde, puis annonce : - il n'y avait pas de frontière prévue là. Nous nous sommes rapprochés, en roue libre, et je voie bien les deux hommes, équipements, treillis, ni casque ni couvre chef, mais aussi la mitrailleuse. Je m'arrête bien avant d'être Feuillet A3 à portée de voix. - ils n'ont probablement pas de munitions pour le canon, mais ils ont une mitrailleuse, dis-je. Les soldats ne bougent pas, ne se cachent pas. La mitrailleuse est juste posée près d'eux, ils sont de notre coté du talus, et alors je comprends que la pièce a été hâtivement retournée. Je ravance encore un peu. M'arrête. Ouvre la portière pour entendre. - Hé-Ho, dis-je aux soldats, penché à la portière. - Salut, dit l'un d'eux, on garde la frontière, les Allemands peuvent nous envahir d'un instant à l'autre. - Nan, dis-je, cette guerre était finie. Il n'y a plus de frontière a garder. - Agent provocateur, dit l'autre. - On va le coller au poteau. - Mon cul, dis-je. - On matte le film tout les deux mois, c'est vrai, dit le premier. - Pourtant, les Allemands sont par là... Je désigne du pouce, par dessus l'épaule, la direction d'où nous venions ...mais c'est un concept bien académique, de nos jours. Feuillet A4 Ils n'ont pas l'air trop mal nourri. Réfléchissent posément à la question informulée. C'est le moins loquace qui reprend : "Les Allemands sont à Meudon ! ", puis le premier, un peu après, ajoute : "On est sans nouvelle de l'arrière." Serious sourit, confiant. Le dialecte est impossible et il s'imagine peut-être que je négocie son abandon en échange de mon passage. Feuillet B1 II Cause C'est la fin de l'hiver sous le dôme. La pluie triste, diffuse en cet espace trop grand pour bien la contenir, peine à broyer et noyer le chagrin tandis que l'asphalte luit des ruisseaux intermittents qui l'ont lavé de la boue du chemin. Et déjà la pluie cesse, pas cette bruine éparse qui ne presse à rien mais les rigoles s'assèchent, et c'est le claquement assourdi du vent sous le dôme. Dans sa tanière blottie au creux nord-ouest, certain dirent est ou sud-est, de l'ancienne battisse, dernière maison construite avant le vingtième siècle de ce coté de la rue, pénétré doucement par le froid qui accompagne le soir au dehors et s'insinue dans les maisons à la nuit, Cause veille. Je ne suis pas de son temps assurément, ni de celui-là ni d'aucun autre mais j'ai toujours vécu ici, et des mystères dont j'ai pu recueillir le maigre fruit, je n'ose dire de sagesse, de douleur peut-être, si la douleur peut enrichir, trop terribles et beaux, je ne veux oblitérer les leçons. Cause. Couché sur le fil abyssal de la nuit, du tournant du jour, sur sa couche somptueuse, gainée de plastique de l'année, rehaussée d'un sac à fermeture éclair des temps anciens. Le plastique de l'année, pour aussi bon qu'il fut en ces lieux et en ces époques, car il était maintes fois récuré, broyé, liquéfié, épuré, datait cependant de la fin de l'été, ou du début de l'automne, et prenait déjà une vilaine couleur jaune obscurcissant son opalescence hors de prix. Feuillet B2 Opale. Couronne rémanente, la flamme d'un briquet emprunté dans l'après-midi. Cause veille, rêve sur sa couche. Il a roulé un joint selon le vieux cérémonial, les deux feuilles collées en L, le filtre en carton roulé, tabac à cigarette et hasch unis ensemble dans le creux de la main. Dehors le froid l'avait saisit vivement sous sa mince chemise tandis qu'il se glissait dans la voiture elle même lovée tout contre le mur, le clignotement confus de ses sens et l'immuable pureté de l'air nocturne conduisant à un étrange équilibre quand il s'abîmât dans le cocon glacé du siège, débrayant et desserrant le frein de parc et la voiture roulait et insérant la clef et débloquant la direction, Neman, le tableau de bord s'illumine du feu de joie des diodes électroluminescentes, glacées. Il avait parqué la voiture quatre ou cinq mètres plus loin, porté par la pente presqu'imperceptible et il avait regardé la lune presque pleine au dessus de lui, à droite et le réverbère un peu plus bas, mais à gauche, avant de repasser la porte. Cause avait mangé, réchauffé du café rapidement, silencieusement dans la pièce du bas déserte à cet heure puis il était remonté, avait gravi à nouveau l'escalier de bois patiné, jusqu'à la porte de la pièce. Celle qu'il occupait, grande et encombrée. Dehors le froid mordait et Cause avait ôté ses vêtements, les abandonnant à ses pieds et, enjambant un cendrier, s'était glissé dans la chaleur douillette du duvet à fermeture zippée. La glissière était un peu plus loin, désaffectée. Il ne le ferme pas, l'utilisant comme une couverture, enroulé. Feuillet B3 La douleur est dans l'ordre des choses, elle va de pair avec l'absence de pluie, l'humidité chahutée par le vent et la douce pulsation de la lumière électrique. La douleur était pour Cause comme la tapisserie de la vie. La lune, il ne la voit pas, mais il la sait pleine, ou de peu, en tout cas des plus lumineuses. Cause rêve, au soleil iridescent de la grande cité endormie, engourdie par la pluie et le vent. C'est un globe de lumière électrique, là, qui éclaire sa chambre. Sa couche, sans lit sur la moquette épaisse du plancher, est enchâssée entre un pilier de bois et une étagère chargée d'objets épars, à sa droite le mur couvert d'une grille infinie aux couleurs passées, fond de vert, bleu, jaune et rouge, portant le convecteur à thermostat. A sa gauche les futs de tambour d'une batterie forment manière de muraille, une grande boite de carton format UC pleine de vêtements sales, derrière l'étagère une armoire presque vide, au pied du pilier un bureau fixé aux murs de la niche et recouvert par les papiers, les livres et le matériel, pour certaines pièces aussi ancien qu'il est possible. Au delà du petit mur batterie-linge qui borde le lit, s'il on veut, un meuble haut, comme une barre de comptoir, à nouveau du matériel et à coté, une étagère de métal laqué de noir mat, un tube télescopique de chrome - les cintres, les manteaux, et juste après, au pied du lit, un large fauteuil disparaissant sous les sapes et les blousons. Feuillet B4 C'est la fin de l'hiver à Fanichet et le temps qui imprime sa pulsation lourde sur les cœurs, les âmes, accorde aussi le repos, le pardon et l'oubli. En dehors d'un mince couloir qui relie les deux portes qui donnent accès à la pièce, il n'y a pas un mètre carré de libre. Cause. La souffrance. Le soir, un à zéro. Le vent même cesse et Cause veille, gardien dolent et insouciant des heures obscures de la ruée des siècles, amour, qu'as tu fait de ce chagrin ? Le vent fait bien claquer les toits et leur plainte sèche en un écho rageur répond au chœur silencieux. Je t'aime. Cause va partir. Cause va se lever, descendre, chercher du café, bouger cette voiture qui gène, rouler un joint, le fumer. Cause est absent. Le reste, les choses, les lumières, sont peut être là mais nul ne peut l'affirmer. Il se lève, va chercher à manger. Feuillet B5 C'est la fin pour Cause, d'une certaine façon. Son hash l'avait plongé dans le manque. Lui qui avait autrefois pu penser qu'il échapperait ainsi à la dépendance corollaire des opiacés, aux ravages physiologiques des dérivés du coca et des méthamphétamines, aux conséquences psychopathologiques des précédents et des hallucinogènes et anxiolytiques connus aux vingt-vingt-et-unième siècles ou de l'absence de drogue sait qu'il retrouve littéralement un peu de tout cela dans son hash quotidien. Le manque est une agression, diffuse, intérieure, hors de contrôle. Malgré toutes les diversions c'est une atroce piqure au cœur même du monde, dépeuplant de ses joies la communauté de la vie des humains. C'est un hiver sans fin et la peine due à l'amour, si l'on n'y échappe par l'ivresse, on peut lui trouver dans la détresse du sevrage contrôlé un dérivatif vain et la possibilité de retrouver la douleur et la peine, qui rappellera l'amour. La dépendance physique n'est cependant jamais une surprise appréciée. Cause est là, ce soir, encore, la douleur lui vrille la mâchoire et l'adrénaline l'enchaine à la veille et à la satiété. Quelle importance ? Pourquoi compter ? c'est la garantie du sommeil, son contraire, tout ce qu'il faudrait mais vas-y-prends-en ! et Cause cligne de l'œil vers ce hash, ce hash terrible, oh, compagnon du soir, ne roule pas celui là et tu seras mieux demain. Feuillet B6 C'est la fin de l'hiver et la fièvre accompagne le blues de série, fin de siècle. Cause contemple le jour et obscurcit en fait le remugle incessant du mal et de l'amour. Un ichor ralentit, fluide absurde et sommeillent les fleurs, déjà jeudi. Cause a passé du temps, du temps, du temps... C'est la fièvre là sous le dôme, c'est juste la fin de l'hiver, là, comme quand tu étais môme... Cause rêve. Le monde est délétère ou le fut, ce fut dit, et l'ancienne splendeur des humains passa. Fanichet naquit, seule, ville ou bled d'où jaillissent le pollen et les spores, les graines et les fruits de la diversité. Fanichet est un lieu, mais il fut un temps le seul lieu réel, compris, durable, dans un univers fou où l'on ne pouvait parler. Fanichet est un rêve, certes, de ces rêves éminents qui peuvent perdurer. La lumière tombe, céleste, dilution et juxtaposition des couleurs, matérielle, immatérielle. Joli camaïeu de pensée. La douleur, l'ibuprofène, le hasch profane, la surtension permanente et le canal saturé, sensation nerveuse, Cause se terre, lumière Velux, le jour, parcheminé. Le dôme recouvre toute sa superficie, dit-on, personne ne l'a encore mesuré. Il n'est pas certain que quand il fut construit quiconque Feuillet B7 en eût la moindre idée. Le temps est à même de couler, tel était le premier principe des bâtisseurs historiques du dôme, et le temps est bien la dimension dans laquelle le dôme s'élève le plus, s'étire, se dilue. Les facettes, triangle de composite assemblé et cuit ici même lors de l'érection, verre double mince et limpide dissimulant un treillis de cristal liquide, s'opacifiant sous la tension et l'intensité électrique, et Cause roule, en voiture sous le dôme. Le thermomètre digital n'avait pas flanché, malgré les années d'inactivité, mais refusait d'indiquer ce que Cause ressentait, la fièvre, et Cause roule en voiture, sans doute capable de marcher mais trop fatigué pour décider de le faire. Quatre-cent-cinquante kilomètres, marque le compteur, et la jauge indique encore probablement plus de quinze litres, un peu en dessous de la moitié affichée, et Cause parcours environ un kilomètre sous les hautes maisons de pisé aux tuiles moussues. Un kilomètre sous le dôme. Du véhicule à la salle d'attente, qui occupe avec le cabinet un sous-sol d'une battisse vingtième ne bordant pas la rue. Reste d'humidité au bas des murs enseveli de verdure persistante. Deux dames des environs dans la salle basse et confortable où les enfants jouent avec de vénérables imprimés laissés là sur une table pas plus haute que la chaise de bois Feuillet B8 et de paille tressée pour bambins. Cause ressort comme la conversation s'amorce. Les médecins, comme en un sens l'Université, n'ont pas connu d'éclipse, moins encore en tous cas, et les principes comme la déontologie de cet art traversèrent intactes tous les âges sombres, aussi le Toubib accomplit l'acte médical comme s'il réémergeait, immanent à l'activité humaine, des jours glorieux qu'il fut souhaitable d'oublier. Le Toubib dissipa les doutes de Cause quand il lui serra l'épaule en le raccompagnant "-Sois fort. -faut pas trop compter sur moi pour ça." Cause rit, comme par habitude, c'est à mourir de rire. "-Salut ! -Ciao !" Il reste peu de temps, peu de temps avant que l'infection ne se déclare. Il faudrait une radio alvéolaire, le dentiste la fournira. Le doc ne peut brancher Cause sur les antibiotiques pour si peu. Il lui conseille d'essayer d'avancer son rendez-vous et prescrit un antiseptique d'application locale. Le dentiste est un homme très pris. Feuillet B9 C'est la fin de l'hiver à Fanichet, le soir est là. Cause s'extirpe de sa mélasse. Abruti, consumé, absent, si semblable à la bruine du soir. Le parfum et le goût de la nuit se heurtent à la douleur confuse, aigüe tout de même sous le voile biochimique de la perception altérée. Souvenir diffus de fossiles de trilobites trouvés sous le soleil, l'air calme et pur du printemps. C'est la fin de l'hiver sous le dôme et lui seul. D'aucun affirment, admettent, que le temps a repris de sa cohésion. Cause contemple, tranquille, l'araignée qui de maintiens à bout de fil une cinquantaine de centimètres au dessus de son lit. Esclave, esclave de la causalité. Qu'avait-elle dit dont il se souvienne ? Cause avait été étudiant, puis, survivant indifféremment, et au crochet de sa famille et de jobs instables pour lesquels il était tout à la fois sur et non-qualifié, avait poursuivi des recherches propres, scabreuses, dans un domaine qui n'avait pas ou plus de nom. C'est cependant ce, peut-être ces, domaines qui les avaient rapprochés. Elle lui avait soufflé les clefs oubliées ouvrant les portails secrets, ultimes, envahis par la ronce et l'or argent de la lumière lunaire. Cause l'avait abandonnée et était revenu, retour ou exil, là sous le dôme, torturé, tentant de démêler les épaves d'un écheveau à rêves brisé. Que pouvait-elle faire, que poursuivait-elle là bas où le soir traine, où la pluie est soudaine et où le dôme n'est pas ? A la lumière impalpable de sa pensée, distillant sur toute chose cette essence neuve et immémoriale, Cause avait fini par reconsidérer, dans le silence de sa digestion spirituelle étirée de l'été à l'hiver, maints fondements parmi les plus admis sur lesquels reposaient, étayant dans l'absurde ou jetés tel des ponts au-dessus, les constructions noosphériques en usage parmi les humains dans le but d'appréhender la réalité ou l'existence. Particulièrement l'existence dans l'historicité. De la dégradation du concept d'événement avéré. Particulièrement les travaux de Wenberg. Feuillet B10 Cause descend doucement les marches, urine aux toilettes, se lave les mains, se sert un verre d'eau. Le broc de polyurétane reste sur la table certains soirs, l'eau est fraiche et la salive revient. Tout ce que boit Cause semble s'exsuder immédiatement par les glandes salivaires. La salive est douce comme de l'eau. Cause retourne sur sa couche. l'œuvre de Wenberg, influente mais peu connue, passe superficiellement pour avoir à nouveau permis de penser en termes historiques et légendaire, à travers l'étude du héros historique et légendaire, créateur supposé et probablement improbable de la cité qui porte son nom. D'une lecture en profondeur en ressort d'avantage une remise en cause du bien-fondé des artifices sociétaux de la population qui y perdure, ce qui mit mal à l'aise bien des philologues parmi le peu qui prit la peine de lire au lieu de parler. C'est la fin de l'hiver sous le dôme et Cause, pour autant qu'il soit à même d'en juger, se trimbale un faciès gonflé de crack-head. Paracetamol douleur-et-fièvre, ibuprofène sous avis médical, tetra hydra cannabinol et CBN d'une fiole de verre pour ainsi dire vide de débris de manucure, dernière boulette de sans-doute-hash, histoire de terminer le morceau. Le bloc suivant est parti dans la machine. L'aiguille de la douleur, un rasoir surfant sur ses nerfs, aux racines des dents. La muraille chimique fait son office, où est-ce le quart de gramme de hash qui calme le singe atroce ; la diminution de la sensation de douleur, surtout si elle s'accompagne d'une désorientation littéralement spatiale, est un signe pouvant indiquer que la boulette vire au caillou. Le speedball, cocktail de cocaïne et d'hero, est plus insidieux, mais la constipation des alcaloïdes opiacés et les hallucinations tactiles épidermiques de cette foutue cocaïne peuvent mettre sur la voie. Mieux vaux être prudent si l'on trouve Feuillet B11 vraiment de tout dans le hash. Est-ce la psychose du sevrage steeple-chase qui pousse Cause à bout ou était-ce la psychose du junkie qui fait qu'il n'a pu, ne peut réellement y croire ? "Je n'ai jamais cru que cela pourrait m'arriver", chante le barde immortel, et un autre avait écrit "C'est à ce moment là qu'il faut faire attention aux voitures". Le thermostat craquette son assentiment. Qu'avait-elle dit dont il se souvienne ? Feuillet B12 Wenberg avait un jour déboulé, atroce de candeur dans son affirmation irréfutable : Fanichet était le nom de quelqu'un ; la cité est nommée d'après lui. Impossible de dater plus précisément Wenberg : probablement après que Fanichet eût émergé comme dénomination consensuelle, une borne floue s'il en est. On ne sait pas à quelle époque, ni sous quelle forme, son œuvre fut redécouverte. La référence datée la plus ancienne admise par Cause remonte à soixante-dix ans. Avant moi, le déluge. On peut au moins être sur d'une chose : l'ensemble des reliques recueillies des jours anciens de la gloire des hommes semble dessiner une histoire cohérente et datée, selon le système ancien, jusqu'au XXI siècle, deux zéro joker joker A.D. Des temps oublieux peu de relations nous sont parvenues, et nul ne se souciait ou presque de l'idée même de date ; par ailleurs ceux mêmes qui s'en souciaient ne se souciaient, compulsivement, que de cela, pour la plupart, et leur fanatisme parfois, leur auto-aveuglement, même s'il s'explique aisément car la satisfaction de l'esprit était, alors comme toujours, un facteur déterminant, cela sans doute accentué encore par l'opacité des troubles en lesquels ces temps étaient comme plongés, oblitèrent de l'historicité ces éléments d'autant plus durement que même peu de références datées, dans le média figé d'alors que le temps a écrémé pour nous, nous permettraient de défaire d'un coup le voile qui recouvre encore le monde, le temps, les humains. Feuillet B13 C'est le gros coup, évidement, mais tout ceux qui se sont intéressés honnêtement au problème admettent que les temps oublieux sont impossibles à dater, par définition. Qu'est-ce qui peut donc pousser une ecosphère à s'étioler ainsi ? Les humains surtout ont morflés. Était-ce la dénatalité qui nourrissait le désespoir, était-ce le désespoir, finalement, qui arrêta de sa main morte le tictac assourdi du temps ? Combien de générations amoindries par le doute n'avaient pas vu, pas voulu voir le temps ? Combien de vies recluses, murées dans le silence - une onde à la surface de l'étang. C'est le dernier jour de l'hiver sous le dôme et Cause rêve tandis que les chiens dehors aboient nombreux au passage d'un ou de plusieurs piétons, c'est le tournant de l'après-midi, c'est le soir, c'est encore tôt et le soleil, les oiseaux, le vent du sud qui mord malgré le pull épais et le temps presse, c'est cool, le temps est cool et la muraille de poison. Le dentiste avait été très cool lui aussi. La salle d'attente pleine d'enfants... Cause, ignorant le cérémonial, se trouvait dans le box destiné aux patients des médecins et Cause, sans accroc, fut réorienté dans un autre box vide après avoir passé trois minutes au repos réglementaire puis une ou deux sur une chaise. Le médecin, qui était dentiste, fourra la sonde radiologique si précieuse Feuillet B14 dans la bouche ouverte de Cause et l'illumina aux rayons X à plusieurs reprises. L'écran, lui, était récent, et les numérisations haute résolutions de la sonde n'apparurent à Cause et au praticien que comme une mosaïque de points colorés. Cause parla symbologie mais ce n'était guère qu'un boulier, chaque rangée pleine de billes rotatives et commandées électriquement pour afficher une couleur, plutôt un niveau de gris en l'occurrence. Conformément à l'usage, l'ordonnance, supportée par un morceau de papier mort, avait déjà servi maintes fois. Provisionné en conseils sur la nature de ses remèdes et en rendez-vous hebdomadaires pour une période de un mois, Cause se rendit, chantant littéralement, jusqu'à la pharmacie, où l'un de ceux qui se nomment entre eux les préparateurs lui délivra et le remède, et la contre-expertise, précieuse au possible, précisant la présence d'un principe à la conformation moléculaire proche de celle de la codéine, un dérivé synthétique d'opiacé en tout cas. Le dentiste avait prévenu pour la cortisone... Pour quatre jour, le reste pour six. Cause luttait déjà, tout intérieurement et sans effort, contre la tentation si grande de thésauriser sur la codé. L'antibiotique, l'absence de douleur, guérir, tout semblait si secondaire depuis Feuillet B15 la prise deux gellules de paracétamol diamorphinisé - pas tout à fait en fait, pas de l'héroine ou du dross, non, juste ça -, deux gélules de cortisone moyenne ou haute/à l'attaque, une pastille énorme de gentils fungus anti-germes diluée dans un verre d'eau, trois verre d'eau... Un fond de verre de vin accepté par mégarde mais finit après tout, délicieux avec une entrecôte épaisse offerte sur invitation par la mère d'un ami convalescent que Cause était allé visiter alors, une sirêne dans le lointain, Cause rêve, un soupçon de ce vieux shit et deux clopes - avant, après - après manger, après le buzz, un mug de café au lieu de la sieste et un verre de çay à la pomme en granulé lyophilisés avant le repas, tout va bien, dans le meilleur des mondes de came. Cause, bien entendu, crève d'angoisse et s'en fout. Deux heures après la deuxième prise, allongée cette fois ci d'une tentative de bloody mary allégé en alcool, avec un jus de tomate principalement mais contenant jusqu'à du jus de citron, tomate, autres légumes, voire fruits... Cause rêve. C'est la fin du dernier jour de l'hiver, sous le dôme, dont les hautes poutres de support laissent entrer le vent du sud comme tous les autres vents, et Cause s'abime, absent, douloureusement présent, hagard, détaché. Médication à l'Occidentale. Feuillet B16 Une pluie ténue mais aux gouttes déjà lourdes, le crachin accaparant du dôme. Pour vous représenter toute l'horreur d'une guerre aux innombrables victimes, écoutez la pluie sur un toit en songeant que chaque goutte représente l'une d'elle, avait autrefois songé Cause, gisant alors plus près du toit. L'averse cesse et le temps défile, cortisone, hashich, dextropopoxyphène (chlorhydrate de dextropropoxyphène)... Cause chasse le vide relatif de sa gorge et tend la main vers le verre à pied... Il est descendu encore, dans le noir escalier lavé de lumière adoucie. Cause boit une gorgée de café. Il s'est servit, dans la deuxième cafetière, guère entamée aujourd'hui. Un verre du breuvage noir, pas frappé mais juste froid, personne dans la pièce si tard, Cause ne vérifie pas si c'est toujours la fin de l'hiver -l'horloge murale-. Il est remonté, chasse encore cette absence de pression de derrière sa langue, boit une gorgée de café. Le réveil promet d'être rude. Reste à dormir. Fanichet se doit d'être un mythe. Il est peut ètre plus rassurant de penser qu'au sortir des ages enténébrés ces pales fantômes du passé s'inventèrent nécessairement cette icône alors que la raison se faufilait, de retour en catimini sur la scène de la pensée humaine pour n'apparaitre pleinement qu'à leurs dignes et doctes descendant. Mais cette aigreur dans le rapport au passé à de quoi faire sourire. Wenberg, à ce qu'il semble, ne peut être taxé d'aucune intention tant le contexte de sa pensée est inconnu. Ceux qui suivirent sont plus connus ou peuvent l'être, et leur environnement transparait par et dans leurs propositions sur les origines du mythe ou de la renommée de Fanichet de Fanichet. On peut ajouter qu'un personnage historico-légendaire, lorsqu'il est étudié, agit en somme comme révélateur de l'étudiant. Feuillet B17 Sans préméditation, ni même en le sachant, Cause a passé les dernières minutes de l'hiver, peut-être même les premières minutes du printemps, le torse nu sur la terrasse, sous le auvent, dans son treillis US bariolé type sud-est asiatique dont les couleurs passent peu à peu. Il avait humé un instant l'air du soir puis avait laissé se dérouler, au chaud à l'intérieur, la séquence des mouvements d'un close-combat propre à lui même, alourdit dans ses muscles par la brume épaisse du traitement anti-infectieux alors encore en plein choc ou peu s'en fallut. Puis un sandwich club au pain de mie, comté probable, bleu indéfinissable et leerdamer marqué. Le bon coté du traitement de choc, c'est qu'il lui avait permis de mâcher. C'est maintenant le printemps à Fanichet et Cause rève, sous le dôme, à Fanichet de Fanichet et à la geste probablement apocryphe de Gensontenor, incroyable texte extrait d'une image sortie d'une vidéo où il était stocké par stéganographie, et des visages lourds et des manteaux pesants d'un cérémonial abscons, quelques personnages sévères posant pour la vidéo-souvenir d'une visite, probablement, était sorti cet amalgame étrange. Cause roule un joint manucure, mi tabac mi feuilles triangulaires chargées de cristaux de THC, et déjà il regrette de n'y avoir pas mis un peu de hash en plus. Feuillet C III Un extrait de Gensontenor : la traversée du fleuve. Il était près de là un bac et un homme. Le chevalier du pays des sources s'annonça à lui, se nommant chevalier de Fanichet, tuyauteur et hydraulicien, et manda passage pour lui et le cheval. L'homme ne voulut se reconnaitre comme utile à la manœuvre, et engagea celui du pays des sources à traverser incontinent, car le soir tombait. Manœuvrant la perche, il s'éloigna de la rive et la coque se brisa abruptement. Instantanément le froid l'engourdit tandis qu'il coupait boucles et lanières, abandonnant à la vase et ses ténèbres tout son barda. Ainsi fut perdue l'épée confiée par Fanichet. Lorsqu'il eut, aussi mort que vif, regagné la rive, il constatât qu'il se trouvait en fait sur celle qu'il escomptait atteindre, le cheval ayant pris pied en amont. Le passeur lança un ola sibyllin. Le chevalier, pétrifié par le froid même sur la rive, ôta ce qu'il portait encore et attrapa le briquet sec que son vis-à-vis lui lança, lesté d'une pierre, à la fronde. Il était bien rempli et son débit bien réglé, et bien vite une flambée brulait haut et séchait le chevalier, l'annonçant à des lieues à la ronde. Bientôt un coursier fut là et offrit l'hospitalité du lieu. Feuillet D1 IV Printemps Cause a tord. Cause a raison. Cause s'endort et se réveille et le jour est là. Une gorgée de café pour s'éclaircir la voix et Cause entame la tournée du laitier. Certains passéistes composent les numéros à la main, d'autre annoncent le destinataire et la machine fait le reste, mais partout ce ne sont qu'illusions de téléphone et les fils gainés de vent ne vibrent d'aucune autre plainte. Le réseau arrive via des ultrasons dans la nappe phréatique. "Rien de neuf ? " "Rien de neuf. " "Rien de neuf ? " "Rien de neuf. " Le cérémonial habituel des boites d'intérim. Cause se satisfait de sa part de l'office, qui lui laisse le temps de déjeuner. Fin du café mêlée aux effervescents, au sirop dispersé de l'antibiotique. Une seule gélule de En Cas De Douleur. Le "seulement" est ad lib. Cause espère être moins stone - conducteurs de machines, attention - et la cortisone l'envoie en haute atmosphère. Il se blesse en s'échauffant, sans s'en apercevoir, passe la matinée à discuter sereinement en attendant son tour de salle d'eau, attends posément de ne plus déranger personne pour mettre au point une recette de fricassée inspirée du matte-faim, antibiotique, brossage de dents après le repas allégé en sucre et mangé aux baguettes, et par excès de zèle lessive le sol de la cuisine avant d'aller visiter son, ami malade, qui vient de lâcher les calmants qui le faisaient dormir, la discussion s'échauffe avec la Dame du lieu qui les a rejoint... La politique ne demande que ça, un peu de tension, et Cause s'éclipse gêné comme son ami se douche et qu'arrive sa grand-mère. Retourne en sa demeure pour en repartir aussitôt et Feuillet D2 manque d'être renversé... "Jte voyais déja su'l'capot"... Reflexe eclair de la cortisone qui rit... C'est un ami, un ami malade, et le temps nécessaire est toujours. Un café au rade, des gangsters peut-être, des voyageurs peut-être, la clientèle musclée est souvent là ces jours ci et a comme vidé la salle de ses habitués. Retour et le conducteur malade est là avec quelques connaissances. A sa décharge il conduit un véhicule de courtoisie auquel il est donc peu habitué. La tension est encore manifeste, c'est la cortisone qui luit et Case, zélé encore, joue un numéro d'intimidation pitoyable. "J'ai envie d'mettre un bon coup d'essuie glace... On est chez nous... Le bon beur..." le tout lancé distraitement, une nuance de dégout dans le troisième terme et là encore la cortisone joue - c'est, sinon une insulte, sans doute une menace - , craquement du rétroviseur et Cause est dans l'habitacle, "Joli voiture", dit-il en examinant le compteur, engoncé jusqu'à la taille par la fenêtre ouverte, entre les deux voitures étroitement garées, le visage au ras du volant et le coude juste sous la gorge de l'ami malade interloqué. Cause se sent pitoyable et enragé, recule, salue nominalement les deux voitures extrêmes, un salut plus dédaigneux pour le vieux pote qui s'est risqué à la réplique soliloque, Cause ne veut pas en rester là et reviens dix minutes après avec un joint tout roulé, hash tabac manucure, mélange retournant pour pote à la dérive mais ils sont déjà repartis. Feuillet D3 La xenophobie absurde fait de ses victimes les bourreaux, et combien, ayant souffert d'être un polak ou un rital ou un porto trouvent réconfortant l'ennemi commun. Un monde astrologique, où pour singer sans compréhension les usages oubliés on affuble au nom de savoirs aussi mal transmis que compris une étiquette de caste pseudoraciale et disparue, disparue comme toutes les castes avec le naufrage du temps, tel est le Fanichet d'aujourd'hui, on affuble chaque individu qui nait d'une catégorie insensée et choisie au hasard, car la génémancie n'est rien d'autre que cela, ah, valons nous mieux que ceux qui vivent encore aux temps oublieux ? Certes nous avons l'Histoire, qui nous permet d'échapper au cauchemar de ces cités et ces générations aveugles rejouant le même film - n'importe quel film - sans espoir d'un secours autre qu'extérieur alors que toutes les communications sont interrompues, mais nous singeons toujours sans comprendre, et la survivance des épithètes est sans doute une illustration de cela. Pas une raison pour se balader armé. Voila l'automne, aha, c'est le printemps, et si j'avais du tuer alors tant seraient mort, c'est ce que songe Cause, rien du tout. Cause tirait vite et bien, seulement sur du carton, et ne battait guère que l'air. Il connaissait sans doute des milliers de façons de dessouder quelqu'un mais ne les avait retenues que pour éviter que ce fut lui, quelqu'un. Il était fondamentalement contre la douleur et partant, la violence. Ver de Necropolis, se coulant et glissant il causait sa police, et vivait dans la populace. Il ne se connaissait pas d'ennemis, et conséquemment avait peu d'amis. Jamais n'abandonnait quiconques à son sort. Jamais n'offrait son aide sinon désintéressée. Nul n'était paria ou intouchable à ses yeux. Feuillet D4 Beaucoup le craignaient sans vraiment l'admettre ni savoir pourquoi. D'où lui venait cette aura inquiétante qui s'attachait ingénument à ses pas ? Cause n'avait rien d'un méchant. Cause n'était même pas dangereux. Cause n'avait rien d'un criminel, et s'il commit quelque délit, ce fut du genre d'usage courant. Même dans la légalité il n'avait rien d'un chicaneur, et s'il se montrait parfois arrangeant c'était uniquement pour sa satisfaction propre et non dans l'espoir de complaire à quiconque. Cependant beaucoup l'admiraient un peu, peu lui en voulaient sinon personne, et certains ignoraient même son existence. Cela ne l'empêcha pas de se faire successivement rembrouer, puis presque renverser et échauffer par deux personnes qu'il considérait également comme des amis, en moins de deux heures de temps. Cause souffrait du syndrome du sage paisible et fine gâchette : les emmerdeurs l'avaient à la bonne. A croire que celui qui le ferait sortir de ses gonds entrerait dans l'histoire. Deux fois, Cause se gratte la paupière. Une journée a passé, il remache toujours cela. Il a revu l'ami convalescent - perdu, loin au large - que reste-t-il après tant de secret, de mensonge, compagnon du jardin d'enfant ? Apaisement et silence de la révélation. Un ami qui navigue entre deux vies, voguant sur son époque charnière personnelle et Cause est une mouette rieuse qui désespère le marin à bout, qui ne sait s'il vivra pour voir et toucher la côte. Feuillet D5 Il n'a pas revu le conducteur, l'ami malade. Les reins bouffés, incapable désormais de bosser comme quelqu'un qui n'a pas à subir deux dialyses par semaines et deux chimios par mois, il tourne et désespère dans sa voiture rouge le plus souvent. On vient de le "parechoquer", l'expression désignant un accrochage parfois plus ou moins volontaire pour abimer une voiture... Voilà pour le véhicule de courtoisie. Cause l'a vraiment connu au coude à coude sur la chaine de montage, et il a aussi découvert à cette époque ce qu'était un site de production sexiste ET où les postes non qualifiés étaient presqu'exclusivement féminin. L'ami convalescent fut, pour autant que Cause le sache, le denier mâle à occuper l'un de ces postes, là-bas. Ils voulurent en faire un mâle qualifié mais lui, connaissant la combine, avait préféré aller s'user la santé dans une industrie plus chimique, mais moins dégeu. Le même. Que reste-t-il sous le dôme ? Cette Athènes, ce rêve, n'est-il plus peuplé que de spectres fous ? Cause repense aux cent pas. Sa cité est pourrie par le vice ? Pas vraiment. Tout va bon an, mal an, mais Cause vit sur la limite, à la limite, est la limite. Feuillet D6 La pluie est là par intermittence. Case pose le deuxième joint du soir à moitié fumé dans le cendrier. Tant pis pour la conduite de machine, aujourd'hui il a ré-usé du dextropropoxyphène dès midi, la douleur et la fatigue de la cortisone, des antibiotiques, la fin du sevrage, si longue et même dure, mais surtout la douleur, pesante, l'ont décidé. Que faire de ce shit ? Cause a encore quelques boulettes par devers lui pour satisfaire à l'obsession du geste, mais le reste, car il en reste, bout suivant dans la machine ou pas. Et Cause doit protéger le seul avec qui il le fume encore, car, il s'en rends bien compte maintenant, il avait su qu'il était tombé sur le genre de matos que l'humanité qu'il vous reste vous empêche de faire tourner à la ronde comme du tamien que bous considérez comme n'étant pas autre chose que ça. Et le vieil ancrage de l'antigaspillage empêchera peut-être son vieux compagnon de fume de reconsidérer la qualité de ce matos là. Pour la première fois depuis littéralement des lustres, Cause n'avait pas prononcé son verdict de critique du hash et s'était contenté d'un évasif "il est pas mal", alors qu'usuellement s'il n'était pas moins concis, il se montrait invariablement précis. Cause connaissait trop bien cet ami pour ignorer que ceci lui aura suffit, il le sait aussi et comptes sur toi pour lui en parler. Bonne chance, Cause. Seulement lui n'est ni malade ni disponible, il cavale pour l'usine, pour l'argent. Et une semaine de plus qui passe l'enfonce dans cette dope inconnue d'où Cause se tire difficilement. Ce dernier s'était toujours cru à l'abri, connaissant suffisamment son shit pour flairer instantanément le matos chelou, chimique, assommant, tabassant. A faire regretter la filière georgienne. Tibisla, tabaslan, tel fut son nom. Le nom d'un Feuillet D7 vieux teush d'une époque révolue. Le matos d'aujourd'hui, c'était de l'inédit, pour Cause, pour sur, et il s'en était rendu compte au point de décrocher complétement de la fume alors qu'elle l'accompagnait depuis bientôt onze années. Après la quatrième, la cinquième ou la sixième, Cause avait remisé le briquet à essence teenage de provenance incertaine dans lequel il marquait les ans d'une entaille. Plusieurs fois il avait fumé quotidiennement puis arrété, parfois il avait connu la folie mais jamais encore il n'avait su ce qu'était le besoin physique de la drogue. La pseudo codéine arrondissait les angles mais le bouclier prescrit avait une date de péremption, et la cortisone n'arrangeait rien sur ce plan. (Sur le plan de la lutte anti-abscès, celle-ci, pour autant que Cause le sache, faisait des merveilles.) Comme beaucoup de ces fumeurs de joints Cause avait professé une défiance absolue à l'égard des autres drogues légales ou illégales. L'alcool chez lui n'était ni régulièrement ni immodérément consommé, il haïssait les médicaments de confort pour le mal qu'ils avaient pu faire à des mômes comme lui au temps de la fin de son enfance, et la came lui avait couté un ami parmi les plus chers. La came lui avait couté la vie, au poète rayonnant des heures heureuses du jour. Étoile du matin s'éteignant depuis une prison froide, au nom de la loi qui punit le crime perpétré au nom du manque de speed, au nom des remords peut-être, une vengeance, qui saura jamais ? Feuillet D8 La pluie est là et Cause rêve. On vient d'arrêter, a dit la télé, une bande de désaxés qui incendia des dizaines de sandwicheries, turques principalement. Cause dans un eclair paranoïde fait la corrélation avec la maladie soudaine de son viel ami... L'éclair se prolonge des heures durant, c'est une lumière, horreur, qui illumine la nuit de Cause. Et si... La véhémence des discours cinglés de son pote, Cause l'avait attribuée au traumatisme de son hospitalisation récente. Mais là ça devenais malsain. Cause avait parlé de vendredi et son pote, aussi sec, avait zappé à lundi. On était pourtant que mercredi. Il l'avait déjà orienté dans cette voie. Heureux de passer pour un idiot, de s'en tirer à bon compte. Et si... Cela signifierait des mois ou des années de tromperie. Que le plus anar de ses potes, comme il voudrait sans doute que Cause le pense, n'est rien d'autre qu'un faf de plus. C'est seulement le choc du virus qui l'a assommé qui le fait réagir comme ça. Il est malade et frustré et te connait assez pour savoir t'énerver... N'invoquez pas le nom de la maison de Savoie en vain devant moi, mes amis, surtout pas pour cautionner les agissements criminels de trublions fascistes, garde tes refrains factieux pour toi, mais hélas, maintenant que je sais, je ne pourrais peut-être plus célébrer notre amitié comme naguère, car la causalité n'excuse pas tout ; et le pire, s'il est à venir, c'est juste qu'il y a encore quelque-chose que je ne sais pas et ma vengeance pourrait être sans égale. Ou alors tout est dit et je sais déjà tout, la trahison est complète, il Feuillet D9 émarge pour les nazillons. La voie de la drogue est sans issue et Cause veille, scénariste en épisode de son destin revisité. L'éclair finira par cesser, mais Cause se sent insulté, insulté par ces paumés lanceurs de cocktails molotov dans ce qu'il convient d'appeler des pogroms qui déshonorent la grande corporation des paumés véritables, qui ne veulent que le bien et ne décident pour personne. Non, les fachos ne sont pas des paumés. Puis soudain Cause réalise. Paranoïa, maybe speed ou amphèts. Voila le prix du deuxième joint. Cause aurait du fumer de la manucure, ce soir. Cause allait devoir se résoudre à ne plus satisfaire la tentation du geste, même avec des dosages per jointa pour ainsi dire symboliques. Même toi, tu peut être fatigué. Feuillet E1 V Créosine Ainsi dans le souffle lointain du turboréacteur Cause réémergea, appesanti de rêves lourds et oubliés. Le temps est là, sous le dôme, qui atténue un peu l'hiver. Le rugissement d'un souvenir qui passe entraine Cause vers un autre hiver plus lointain. Creusant dans la neige pour la patate chaude... Tu viens avec nous on emmène juste ma sœur à la danse... Sur le parking du centre hors dôme, cadeau, nannan, c'est pour toi, garde le sac aussi... Cause avait senti la daube, la douze, l'arnaque pote-à-pote à laquelle on le menait, creusant dans la neige pour cacher ce sac d'herbe bon pour l'envoyer à l'ombre ou pour faire de lui l'arnaqueur du pote du pote pour ce dernier... Ils l'avaient cueilli dès son arrivée, revenant de fac par deux heures de randonnée et de charrettes, parti l'après midi il ne mangeait pas encore son repas du soir qu'ils venaient le trouver "on emmène juste ma sœur à la danse" et Cause, après un week-end de mauvaise conscience qui l'avait vu au cours de la même nuit courir les marais pour y cacher la patate chaude et deux heures plus tard courir encore pour l'en déterrer, terrifié à l'idée qu'un insomniaque l'eût vu et cherchât à savoir, terrifié à l'idée que le propriétaire initial du truc déboule, quel qu'il soit... Et Cause avait rendu le lot le dimanche soir, récupérant quelques torches pour sa peine, deux pour cent peut-être... Et des années plus tard il eut le fin mot de l'histoire, qui avait douzé qui et comment et le propriétaire initial du truc ne souhaitait que s'en Feuillet E2 débarrasser, rien de plus, et les potes flippaient pour la patate chaude dans leur mains, un petit sac plastique plein d'herbe, l'avaient refilé si gracieusement... Sans rien expliquer, sans même vraiment lui laisser le choix... Il y gagna une petite blague à tabac qui enfuma sa piaule étroite d'étudiant, mais y perdit beaucoup de la confiance qu'il avait en ces deux amis... L'un su plus tard la regagner, tandis que l'autre, affectant de l'avoir gardée, finit par la perdre encore plus... Mais les potes restent des potes... Et plus tard ce fut juste une histoire plaisante à ressortir, seulement les amis qui auraient pu l'entendre il les voyait rarement simultanément et sans les non-initiés qui empêchent les contes scabreux d'être dits... Probablement qu'ils en rient ou s'en foutent tous bien maintenant, mais deux potes avaient court-circuité deux potes, car ils étaient quatre initialement à faire une manucure-express à un plant devenu encombrant pour celui qui l'avait fait pousser... Espère, Cause, espère qu'aujourd'hui tous s'en foutent ou en rient... Cause qui ignorait tout avait joué la partie en aveugle, redoutant seulement que le matos eut été volé à un ancien du dôme, et il fallut attendre trois ou quatre ans pour savoir que ce n'était pas le cas. D'autres années avaient passées, encore, et peut-être un jour Cause pourra-t-il en rire, mais pas encore, pas encore. Feuillet F1 VI Printemps bis Et le temps est et la douleur tout autant. Cause attends, au son sourd de la nuit en bouteille tandis que le signal de la douleur lui revient, direct, du genou, et pense quoi ? Cause écoute les bruits gourds de la nuit assourdie et tâtonne vers le monde, aussi loin que la longe de la douleur le traine. C'est un four, horripilant, qui s'est installé dans son genou droit, et autour, dans son quartier, les quais sombres des battisses bordent la rue qui ruisselle d'eau. Celui du pays des sources était sans doute une exception parmis ceux de son temps quand il vint à Fanichet, ressortissant ultime d'un monde d'intérieurs et de confort, car au pays des sources même au cœur des temps de l'oubli, dit-on, les toits ne prenaient pas l'eau, et les battisses restèrent bien fichées à la terre par leurs fondations. S'il avait vu le dôme s'ériger, il a peut-être pu croire un instant que ce ne serait qu'un immense intérieur comme la Grande Pièce dont parle la geste. Mais sous le dôme le ruissellement transforme les rues en rivières. Sur une mince, mince bande qui court sur la circonférence, la pluviométrie est amplifiée d'un facteur descriptible. Toute l'eau qui tombe sur le dôme coule à sa circonférence. Comme il repose sur un pays qui n'est pas vraiment plat, l'eau dévale des collines du sud. Feuillet F2 C'est la fin de la substitution, et une ultime gellule le tiens éloigné de ces affres... Un manque, un autre manque, toujours le manque. Cause apprécie l'absence de hash louche. Plus de manucure mais du déchet d'ecossage, initialement conservé pour en tirer un hash mais Cause le fume tel quel, dans l'après midi, le soir, maintenant, et ça va. Mais le dernier dextropropoxyphène est proche, si proche, et lui seul calme ou masque la douleur affreuse du manque du manque du manque et Cause roule à nouveau, joint de tabac et d'herbe mélangées - le pétard traditionnel est peut-être préférable, la nicotine use... Le silence est presque absolu. Jappement assourdi, lointain, un mirage endormi et vain, une brume claire et cristalline, solide spongieux que nul ne peut voir, ce qu'exhalent... Les vivants. La nuit est là, sincère dans son indifférence, et le monde tourne, semble-t-il, encore et toujours. Cause rêve, repense au joint à la lisière, repense au thé du matin et aux silences, à la misère, à la folie, et aux confins. L'espoir luit sur les heures mornes et la sensation n'est rien. Le thermostat attaque son solo. Allumette. Le temps a pris une teinte confuse, indéfinissable. Cause connait la couleur et le temps. La couleur triste, fade, des après-midi perdus de son enfance à l'abris du dôme. Aboiements perdus sans echos, allumette à l'éclat obscurci, une bouffée, Cause pase la langue sur la mesa inversée qu'est devenue la molaire en cours de soin. Allumette, une bouffée, les sentiments amoindris par la pensée opacifiée, Cause explore de la pointe de ce muscle les béants vides de sa vie. Où est-elle partie ? Qu'aurait-il eu à faire ? Cause sait qu'il n'a pas agit autrement qu'il n'a agit. Impossible pour lui de dérouler la bande de ses souvenirs en recherchant la séquence perfectionnable. Rien ne compte. Son absence est la seule réalité. No chronic. Souvenir d'un dealer de série télé, un encore un. Corticoïdes lâchés depuis la veille. Tout va quoi ? Feuillet F3 Sans doute les frites, la dosette, le bagout, et mille autres us et coutumes remarquables nous sont venus des temps anciens grâce à ceux qui les firent vivre sans les comprendre et en les considérant comme sacrés, cependant l'office est considéré comme profane par essence, simplement coutumier, mais avant cela, aux temps de l'oubli ou ailleurs, ce mot appartenait au vocabulaire liturgique. Il désignait, avec majuscule en début, une célébration. Chacun accomplit librement la part de l'office qu'il souhaite accomplir, s'il souhaite en accomplir une quelconque, en ayant simplement le sentiment de perpétrer les usages anciens des temps de la gloire des humains, certes, alors en quoi cela est-il différent des essaimages non encore touchés qui en détiennent une bribe infime et survivent autour de cela en en faisant non pas toute leur liturgie, car tout reliquat culturel même infime renferme souvent un peu de pensée sacrée - et les communautés vivant sur des épaves de la culture morte n'incluant pas au moins l'un des livres de Syncrécat' font figure d'exceptions rarissimes - d'où découle généralement une expression de sentiment religieux en tant que tel, mais toute la vérité immuable régissant et la vie et le coeur de chacun ? On peut néanmoins remarquer que cela est encore préférable à ce qui passe aux yeux de beaucoup pour ce qui amena aux temps de l'oubli, le mal est ses manifestations, violence et meurtre et viol et prisons et vendettas et exécutions, lesquelles n'existent pour ainsi dire plus désormais, remplacées par les usages symboliques de l'office, car si la gloire des humains peut-être perpétrée, et si nous perpétuons encore pas mal de l'ordure humaine également, personne ne tue ni ne vole en souvenir, non, et celui qui pour l'office est le méchant habituel sait que ce n'est plus possible de comprendre les méchants habituels Feuillet F4 originels et l'horreur de leurs crimes et de leurs châtiments, car ce n'est plus le vieux monde des hommes. La dernière gélule est métabolisée depuis des heures maintenant, et Cause entends un aboiement bref. C'est la fin d'un jour terne et lumineux et toujours sous le dôme, où un peu de soleil amène une chaleur bienvenue au sortir de l'hiver, où les enfants apprennent insouciants à maitriser le vélo. Feuillet G1 VII Level 2 Wenberg Wendy refusait le ciblage. L'expression ronflante et imagée n'en était pas un moins bon leitmotiv, et Wen courait à travers la rue, fracas de la circulation, voiles qui claquent et chuintement triste des pneus sur le goudron. Il reprend pied sur le trottoir, un, deux, quatre pas et le voila qui tourne au bloc, hey hey un dernier regard en arrière en défi aux dernières voitures... Le tube prend du service et tous les ballots qui transitent à bras ou sur le flot ondoyant des chars à voile rouleront bientôt deux mètres sous terre, dans l'ancienne canalisation, dont on ignore toujours l'usage mais qui devait charrier des débits prodigieux d'un fluide oublié. Fanichet pouvait aller se faire foutre. Trop de temps perdu à faire de la lèche à des sectateurs incompétents pour quelques secondes de temps machine. Il porte machinalement la main à la boite antichoc grande comme la paume contenue par sa poche, renfermant le précieux écran LCD de la taille d'une phalange prêté par l'Université Libre d'Udgar. Wen porte un T-Shirt cache-crachin camouflé, marron-vert-sable, un jean cinq poches, une paire de cross-training noir et argent. Le jean a cette nuance indéfiniment délavée et indéfinissable propre aux jeans stone-washed ayant passé la maturation du scotch de luxe. Il s'engage dans la rue déserte et file le long des murs séculaires. Là où il s'arrête, réfléchis, repars, écartant les bras pour mieux sentir le vent du soir, se coulant dans l'ombre moussue des grillages en nid d'abeille filigranes de rouille de leur image ancestrale. L'envoyé de l'université fait preuve de toute la patience possible, mais Wen se sent désolé de ne pouvoir avancer d'avantage. Feuillet G2 Cet écran serait précieux pour bien des tâches, plutôt qu'inutile ici tandis que Cause attends le bon vouloir des sectateurs de la machine pour pouvoir poursuivre ses travaux. Et l'envoyé de l'université, malgrès tous les attraits du lieu, est loind des siens avec une longue route à faire et une date de départ inconnue. Wen maintient une provision de denrées de voyage qu'il renouvelle en permanence, toujours prête et jamais utilisée, et les efforts pour la regarnir et redistribuer les articles ayant atteint leur époque de consommation l'occupaient bien assez sans que les sectateurs ne jugent qu'il faille attendre encore le moment propice aux machines. Wen disposait de l'un des rares écrans à des lieues à la ronde qui ne soit pas utilisé simplement à l'office privatif ou aux publicités. Cause ne peut plus voir au loin un office public sans porter la main à sa poche. Wen avait assez de processeurs, de cartes mères, d'alims même pour réaliser un remake numérique d'un film à effets spéciaux avec Christophe Lambert, et l'électricité nécessaire pour animer les circuits ne demandait qu'à couler. Qu'il y avait-il de si grave pour que les sectateurs de la machine ajournent indéfiniment leur feu vert ? Ils n'avaient même pas idée de ce sur quoi les traitements portaient, et tout le monde se moquait que quiconque imprimât telle ou telle relation obscure de quelque fait oublié de tous pour le plus grand bien de ceux qui l'ignorent. Feuillet G3 L'envoyé était arrivé juste avant l'automne mais il semblait connaitre assez la ville pour refuser l'hospitalité de celui qu'il était venu aider dans ses travaux. Il lui avait remis l'écran, et Wen avait songé à l'humilité étrange de cette personne qui avait bravé les danger de la toute depuis Udgar porteur d'un écran des jours de la gloire des humains en ordre de marche et qui attendait depuis que Wen disposât d'un feu vert de l'autorité dont il aurait du être muni dès avant son arrivée. Et l'attente indéfinie consume Cause, car cet écran rare et précieux est sous sa responsabilité comme il le fut durant son voyage mais dans la poche de Wen désormais, qui doit lui rendre compte régulièrement de la non-avancée de leur situation. Wen n'a pu comprendre exactement quel est son domaine de recherche, mais il est certain que rester à l'abri du dôme à attendre qu'un illuminé de l'archéologie des systèmes d'information obtienne l'assentiment de ceux dont l'office consiste à gèner au possible l'activité cybernétique ne doit pas en faire partie. En quelques mois Wen l'avait vu sétioler, comme si les visites intermittentes et nécessaires de ce dernier, où peut-être la vie ici auprès des arbres et des rues de la ville, lui ôtaient peu à peu de sa vigueur comme le peintre peint touche après touche, et Wen sentait bien que le capital de sympathie dont il disposait encore grâce à l'interet de Cause pour l'œuvre de son illustre ancêtre finirait par s'étioler lui aussi. Wen croise une voiture et reste une seconde pensif. Les carburants, quels qu'ils soient, devenaient rare, et à Fanichet où faire rouler à nouveau des voitures était tout un mode de vie cela ne manquait pas d'inquiéter. Une voiture pouvait, sans s'élancer et d'un seul coup, gravir les plus raides pentes de la colline par sa force propre et sans cheval ni pédalier. Le carburant, volatil, est nécessaire à cette magie ordinaire, et celui qui ne brule pas sèche. L'économie n'avait presque rien à voir avec cela ; bruler du fossile pour avancer relevait depuis toujours de l'office et du monde ancien. Wen n'a pas de montre à consulter mais connait le temps et presse le pas. Feuillet H1 VIII Dans la manche, soixante centimètres sur vingt huit de drap de coton imprimé, non pas noués en bandana mais simplement enroulés librement autour du poignet et de l'avant-bras, qui dépassent comme une sorte de chemise et tranchent sur le bleu profond du pull-over. Le modèle marine de guerre allemande, ouest allemande de la fin de la guerre froide, porté à même la peau. Le pantalon quatre poches sport mais sans pince, fibre élastique, oscille lui entre l'accessoire pour opera savonnette et l'uniforme presque-couleur-officier du retraité actif mais un peu suranné du tournant du millénaire. Armée de Terre, évidemment. Une paire de multisports unisexe noires à scratch, semelles et pour la salle et les chemins. Généralement, l'air d'un punk, barbe taillée relativement court et menton rasé de guévariste, à moitié, répondant aux tempes courtes et au reste long, le tout ramené en une moumoute de pseudo-intello médiatisant. Wen s'est sapé en star du rock pour l'occasion. Comme le veut l'office ou l'usage, il attends devant la vitre coulissante de l'antenne de la caisse primaire d'assurance maladie que celle-ci lui livre passage, actionnée par un moteur, un humain ou un membre d'une autre espèce dotée de la sapience nécessaire pour voir et ouvrir, invisible. Le cérémonial peut commencer. La porte glisse. L'air d'un punk en chaussettes de tennis. Wen presse un bouton, s'assoit, une sonnerie et un écran à tube cathodique qui diffusait un journal cyclique videotexte annonce le numero de son ticket. Wen n'a pas de ticket et a pressé le bon bouton, conformément aux instructions photocopiées et scotchées sur le laïus dépassé scéllé dans le plastique de la borne. Cause ouvre la porte, salue, attends qu'on l'y invite pour s'assoir et part sans y avoir été invité. Cérémonial. J'ai perdu la carta vitaler. L'officiant est une très belle femme qui évoque la pèche et les vergers, qui évoquent la Schwarz Waldhof. Elle lui remet le papier de l'office, que Wen peut désormais porter enroulé jusqu'à ce qu'il soir déposé dans sa Collection Personnelle, comme le scribe dynastique porte le rouleau de papyrus peint par le faisceau laser. Feuillet H2 Wen ressort dans la lumière solaire, parcours cent mètres ou plus par les venelles, ombre et lumière. A nouveau un bouton, pour en finir avec l'office. C'est moi. La voix desincarnée acquiesse. Wen peut maintenant se rendre à son rendez-vous. Son interlocuteur est jovial. Wen a prévu un casino frais et desert, où ils siroptent une première pression d'un quart de litre, modèle local pour le format, recette datant de l'époque datable associée à une géographie oubliée puis redécouverte, bière blonde légère à la brasserie moins lointaine que le nom. Qui sait où peut bien couler la bière du Rhin, rive gauche ? Du temps de celui du pays des sources le fleuve inspirait une terreur sans nom aux habitants des hauteurs, si l'on en croit la geste. Cause a déja terminé sa bière, commande un café, apporte une bière de plus et siropte à nouveau, sa tasse a expresso pleine de café brulant mais pas trop, sucré, expédiant les affaires courantes en deux phrases pleines d'une erreur manifeste qu'il ne remarque pas. Wen boit sa bière et pense au Schwarz Waldhof. Qui emploie le terme "pute" en lieu et place de "femme" ne remplacera pas "merde" volontier par "putain", songe-t-il maintenant. Cause est retourné vers les limbes de mystère d'où il semble être sorti, capable seulement de l'interjection ordurière et non du langage ordurier à connotation. C'est toi qui voit, mon pote. Le langage ordurier dans l'expression elle-même vient souvent de personnes beaucoup trop sous contrôle pour apprécier la vraie ponctuation par la grossièreté. Word. Wen regagne la rue, s'insère dans le flux. Feuillet I1 IX Re Cause est sans doute un attardé pédant, là bas sous le dôme à attendre la succession de l'ombre et de la lumière aux bardeaux incertains de la nuit. Le tumulte roucoulant des goutes qui tombent, le soir, un soir de pluie, et la lueur atrôce de la lampe, un fin tube de verre plein d'un gaz chatouilleux, ah, si la lumère est corpusculaire son ressac incessant ensevelit, enterre sous ses assauts navrants le corps, vernaculaire rencontre du matériel et de son élément. La matière, le temps, la cohésion toujours pour tenir des murs-paravents sur le rebord des abimes, le rebord de l'abime, néant pour la pensée l'abime intelligible seulement mais jamais appréhendé. Cause a sorti de ses recoins la boulette de hash sèche, trouvée par hasard en cherchant un carton, phénomène inquietant, spontanée génération. Cause a roulé de ses mains le une-feuille de ce matos crade, rodé dès l'émietage comme esquif de la coupe d'un matériel plus vieux, dégeu mais moins suspect. Ni odeur ni effet trop chimique pour ne pas être louche, non, simplement du pneu présentable, ni assommant ni efficace, en tout cas pas agréable à fumer. Cause, qui se l'est cogné plus d'un mois, avant avant denier bout touché, n'a pas fait la fine bouche et le regrette déja. Le seul shit qui ait jamais réussi à degouter Cause jour après jour, entre le quatrième et le sixième joint. Mais celui là était encore préférable. Seulement le gout du hash et la tentation fusent et cause fumerais bien, encore et encore. Pour une première, il va descendre, descendre l'escalier. Cause se lève. Il progresse, marche après marche, tipiti tipiti à la porte, l'heure est tardive "T'aurais pas des feuilles à dépann'" ; dans une autre pièce, un dormeur articule "Connard"... Cause est fatigué des feuilles stockées depuis l'époque du lycée. C'est vraiment la dèche - et Cause rejoint sa Feuillet I2 couche, le plastique froissé crisse comme la voile claque au vent. Il a retourné son sac de couchage, coté puant vers l'extérieur, et tends la main vers l'herbe qu'il a vu pousser et qu'il consomme volontier en infusion avec du thé. Gunpowder ou au jasmin... Le Yuan et le Lipton aux étiquettes coutumières, il le consomme pur. De qui est-tu le complice inconscient ? C'était un ami, je lui fait confiance... Et la maladie révèle non son discours, mais son action. Y va rien calculer... J'aurais du le savoir dès le premier euhpote à toi qui avait joué le nerveux, "son pote la racaille", et dévale le souvenir du soldat S., ses lèvres pleines et ses yeux pleins de rèves lorsqu'elle lance sur un ton badin "T'es un peu une racaille, toi..." et maintenant Cause sait bien qu'il a été complaisant, avec moins que des trainards, des jamais-bandés indébandables et indégonflables car jamais gonflés. Eux qui me traitaient de racaille, ah, petit skins, skins phantasmés d'article et de revues qui ont pris corps à travers vous. Souvenir d'un doom-like avec caisson de sous-basses entre les pieds, la pompe à eau qui voit sa durite exploser à trois mètres avec un geyser de vapeur qui inonde le plafond, un coup d'oeil à gauche -pas léthal- retour à la partie... Tacatacatacata, victoire tactique, mais avec qui joue-tu-donc ? Et la pompe qui monte l'eau des douches à l'étage, ah, c'est pas la sierra... Pas même le vrai Wyoming. Comment as-tu pu ne rien voir ? Ce qui ne venais pas du discours tu aurais pu le voir dans le reste... Transparaissent les abscès immondes durs d'une sanie jus amer des fruits des blessures d'un autre siècle, juste des mômes, le bénéfice du doute... Effet de bord de la paranoïa. Méfiez vous de l'amalgame. Celui qui avait parlé, l'ami convalescent avait du le rayer des tablettes un moment, peut-ètre Cause l'a-t-il revu plus tard, aussi policé, civil que les autres, tous plus cordiaux qu'Hercule Poirot... Pauvre con, n'as tu donc jamais vu des faux culs qui se contiennent... De quoi faire regretter les vieux skins du vieux Feuillet I3 temps, juste des loulous pas même forcement bastonneurs ou méchants, mais ces mômes là, blèmes et déconnectés, trop polis pour être honnetes... Trois fois dans sa vie Cause a vu un flingue braqué sur lui... Une fois un 9 m/m porbablement en plastique, une bande de ceux que vous nommez racailles réunis en rond dans le parc du lycée... Cause s'approche, braquage, casse toi... "c'est bon", paumes levées, petit sourire, Cause tourne le dos sans s'énerver... Une fois un 6 pas en plastique, un voisin excédé par les pétards de juillet... Gallopade ? Nannan, on est parti en marchant... Mais nos tronches.... Les mômes version génération-d'avant, pas du nanan... Le grenaille d'un pote en quatrième joker, une balle dans le barillet, roulette russe dans la nuit, après celle du cheval... "Maus jvoyais qula balle elle y était pas"... Celle de Cause. Un skin enfin, à la fin des années d'études, qui tient ostensiblement son Colt 1911M sur son perron, doigt dans l'anneau mais sans viser pour de bon, alors que Cause passait juste visiter une amie qui était déja une ex avant que Cause ai réalisé qu'elle était sa tout-court... Le type le plus inexistant qui soit, Cause, egrennant les souvenirs comme touché par la sénécence alors que lui qui connait et aime les loups véritables ne peut en fait comprendre ceux qui en vénèrent le symbôle... Souvenir d'un loup qui joue, à travers un grillage puis, soudain lassé, broie le bois dur, sec et solide comme un manche de pioche comme par mégarde, comme aucun chien ne pourra ou ne voudra jamais le faire... Parfois, dans l'Armée Rouge, au temps de la Grande Guerre Patriotique, qu'on nomme à l'Ouest Seconde Guerre Mondiale, voire Deuxième Guerre Mondiale, les fantassins posaient une grenade à manche sur leur casque de tranchée ; le souffle et les éclats partant en principe et principalement au dessous d'eux... Debout il faisaient exploser la grenade. Des principes... Des faits... Comme Dickens l'écrivait dans David Copperfield, en principe mais en fait... Feuillet J1 X En guise de conclusion Ainsi vivait Causeeh Caus'marc lorsque Wenberg le jeune exhuma la partie oblitérée du corpus de la geste, oblitérée peut-être au nom de l'office qui voulait alors qu'une part de tout savoir redécouvert ou décrypté fut renvoyée dans les ténèbres du secret des ages. Alors que la geste était connue et étudiée depuis des générations, la découverte de cette part cachée de Gensontenor, si différente de celle que chacun pouvait connaitre et aimer, restée dans l'oubli si longtemps sans autre raison que celle de l'usage et de la superstition, ébranla les constructions alambiquées qui de la geste faisaient l'épopée onirique des fondateurs considérés comme mythiques de ce qu'il convient de nommer Fanichet, le dôme. J'ai revu Serious depuis que nous avons trouvé par hasard la Troisième Frontière, qui a déja connu et est appelée à connaitre encoure d'avantage le privilège douteux d'attirer l'attention des geonautes comme communauté non encore touchée, séparée de l'infosphère hermétiquement et ne subsistant que sur quelques courts extraits d'une série de films parodiques et de documentaires en guise de leg culturel, compilés par une main inconnue et constituant pour cette communauté tout le savoir humain, l'un des reliquats informationnels les plus ténus connus à ce jour. J'expliquai à ce dernier la vie et la mort du poëte et lui, en prosélyte de la dépendance, corrigea hors de ma vue l'un des cafés qu'il me servait le soir d'une bonne rasade de diamorphine, second ami en moins de trois semaines à jouer ce jeu là avec ma pomme, aussi comme Dick j'affirme que l'héroïnomane ne pense qu'à la façon dont il pourra vous transformer en moyen d'obtenir sa substance lorsque vous êtes en rapport avec lui. Mais le premier ami m'avait simplement regonflé un caf' au tranquillisant en douce, ce qui est déja dingue en soit, tandis que Serious m'infligea sciement cette substance infâme parceque je lui disais combien elle était dangereuse. Refrain habituel du refus de la réalité de la dépendance à la bouche, il avait joué à ça. Feuillet J2 Et je repense à Igo, qui ne voulait de mal à personne et que j'ai éconduit alors qu'après m'avoir tiré de ma grasse mat' elle me demandait simplement de la reconduire chez elle, que j'ai renvoyée stupidement à la merci des dangers d'une rue que je croyais inoffensive, ah, Seigneur, s'il lui est arrivé quelque-chose je ne pourrais me le pardonner. Et je repense à Igo et rien de ce qui m'arrive ne me semble bien grave ou terrible en comparaison des souffrances que cette jeune femme a enduré. Et si l'agression, ou pire encore, et si encore le viol perpétré par classisme lui est tombé encore dessus ce matin ensoleillé où j'ai refusé de la reconduire, alors je suis fautif, fautif de ne pas avoir su voir ou comprendre qu'elle avait besoin d'aide, et rien de ce que j'ai pu ou pourrai faire ne peut amender delà. Annexe : un extrait du Gensontenor exhumé : "Fin du temps de la gloire des hommes" L'épidèmie dévastait la région. À aucun moment je n'ai cherché à mettre un nom sur la maladie, mais dès le début je connaissait ses symptômes : coloration livide des parties supérieures du corps, flegme, puis mélancolie pathologique, affaiblissement général puis mort. D'après ce que j'ai pu observer, l'état d'apathie dans lequel le malade était plongé, allié à la rapidité de progression de la maladie conduisait ceux que le spectre avait touché à mourrir en quelques heures, à l'endroit même où les premiers symptomes s'étaient manifestés ; car il ne fallait espérer aucun secours, aucune sympathie. Le mal était incurable. Les plus sages avait quitté la région depuis longtemps. Ma famille s'était réfugié à la campagne. Seuls les plus fous étaient restés. J'en était. Peut-ètre ceux qui n'avaient pas manifesté la volonté de fuir étaient-ils déja atteints. Je faisais du stop, conscient que personne ne me prendrai. C'était plutôt une manière d'occuper mon temps libre. D'ailleurs, la route était déserte. Puis Gwen passa et s'arreta. Sa voiture semblait ancienne et à bon marché. Elle ne semblait ni plus jeune, ni plus vieille que la dernière fois que nous nous étions croisés. Je montais et nous parlâmes. Je ne me souviens pas de l'endroit où nous allions ; il ne me semble pas que nous nous soucions d'aller quelque part. De notre trajet et de notre discussion, j'ai tout oublié, si ce n'est quelques impressions fugaces trop volatiles pour être rapportées ici. Mais un instant est resté gravé dans ma mémoire : nous sommes dans le centre du village. A sa fenètre, loin au dessus de la rue, je vois une vieille dame, et je sais qu'elle est condamnée. Je me retourne vers Gwen et lui dit : "J'ai l'impression de devenir fou". Plus tard, je pris un bus. J'étais le seul passager. Nous nous arretâmes près d'un arret bondé, mais en scrutant les visages je su que j'aurais aussi bien pu regarder des cadavres. Puis, dans cette réunion de moribonds, je reconnus Sylvain B. Alors que ses compagnons ne manifestaient pas la moindre intention de quitter leurs bancs, lui se lève, fait le tour du bus en refermant soigneusement toutes les fenêtres entrouvertes, puis retourne prendre sa place parmis les spectres. Plus tard, à la tombée de la nuit, je marche, à la sortie de ..., sur la route déserte. Une épaisse couche de silence et de mort. Je passe devant quelques mecs, assis, dans des voitures garées ou à même le sol. Je reconnais mes semblables, des débris de lotissement, rongés par l'ennui. Certains sont déja mort et pourissent. Pas de musique sur les autoradios, juste le bruit blanc d'un tuner calé sur une station qui a cessé d'emettre. Je dévisage les mecs. Je ne reconnais personne et pourtant je sais qui ils sont, en général. Au non de cette reconnaissance mutuelle (je le crois), j'emprunte une cigarette. Mais les quelques mots que j'échange avec le moribond qui accepte de m'en fournir une me poussent à abandonner là et la cigarette, et la conversation, et à fuir, à fuir éperdument. Plus tard, la nuit est tombée. Je suis à l'arret de bus, accompagné de deux personne, une fille et un garçon probable, dont j'ai oublié nom et visage. La rue est déserte. Je crois que j'attends la mort. Puis, au loin, le bruit d'une moto. Je lance de toute mes forces mon marteau sur le pilote, lorsqu'ils passent, lui et sa moto, à toute vitesse, le seul bruit à des kilomètres. Ici mes souvenirs sont flous, mais il semble que mon acte gratuit m'ait permis de survivre. Plus tard à nouveau. Jour ou nuit, je ne sais plus. Je prends une douche. Je tremble. J'entends la voix de Pierre qui parle de nourriture, mais je m'en fous. Il me semble que la lucidité revient. Encore plus tard, chez Pierre. De la viande, posée sur une table. Pierre et Mou discutent de la meilleure façon de la cuisiner. Pierre insiste sur la rareté des sources de nourriture, Mou réponds que la viande ne se conservera pas longtemps. J'ai peur de me tenir face aux derniers êtres vivants de la région. Je sors. Ici tout deviens confus. Je suis devant chez Pierre. Je revois Gwen, nous parlons. Nous ne sommes pas seuls. Des mots que nous avons échangé, j'ai tout oublié.